(Image de couverture: Kasimir Malevitch, Les Sportifs, 1928-1930)
Avertissement préliminaire: Le « temps de lecture estimé » est calculé automatiquement et inclut les notes et encadrés. Ici: à peu près un tiers du texte de cet article sont des notes. Les notes et encadrés sont souvent des compléments qu’on juge importants, mais ne sont pas nécessairement indispensables à la compréhension du texte. Si la durée annoncée vous fait peur, vous devriez pouvoir vous en passer en première lecture, et raccourcir le temps à environ 20 minutes. Et oui, nous sommes désolés, nous ne voyons simplement pas comment soutenir les thèses défendues dans cet article en faisant vraiment plus court. Bref, bon courage !
Nota Bene: Chacun des articles de cette nouvelle série ont été rédigés conjointement par Ce N’est Qu’une Théorie et Gaël Violet. Oui, comme pour la série « Les gens pensent mal: le mal du siècle? », le template de ce blog ne permet pas que soit affiché le co-autorat, et l’auteurice affiché.e est la personne qui met en ligne. Ce sera corrigé quand le template du site affichera le co-autorat. D’ici-là, pensez-y si vous voulez nous citer 😉
Il est souvent reproché à notre collectif d’être composé de militants « islamo-gauchistes », « postmodernes » « relativistes qui veulent défendre le mensonge », « vrais fascistes » (selon l’adage selon lequel les vrais fascistes seraient les antifascistes), et autres joyeuses étiquettes qui conduisent à discréditer notre travail ou à refuser de chercher à le comprendre. Nous sommes effectivement militants (voir Qui sommes nous). Mais nous ne sommes pas que militants, nous sommes un collectif de personnes dont un grand nombre fréquentent les sphères sceptiques de longue date, et sont particulièrement intéressées par les sciences, leur méthodologie, l’esprit critique, la rigueur intellectuelle, la lutte contre les complotismes et les charlatanismes. Certains d’entre nous ont un rapport à la « recherche de la vérité » qui remonte très loin1, et qui les a conduit à lire de la philosophie des sciences et de l’épistémologie de longue date. Certains d’entre nous ont été scientistes, au sens « idéaliste des sciences » (où idéaliste peut être pris dans pas mal de ses acceptions) et c’est pour cela que « dé-convertis », ils luttent contre l’obscurantisme dans lequel le scientisme peut conduire au même titre que contre les autres obscurantismes. Il ne s’agit pas de décrédibiliser les sciences, juste de les dés-idéaliser, à la fois pour permettre la nécessaire lutte pour que les conditions matérielles de production et de diffusion des savoirs soient favorables à des sciences de meilleure qualité (les réformes vont actuellement dans le mauvais sens, cf LPPR en France), et pour promouvoir des rapports sciences-société qui nous sembleraient plus sains (lutte contre la technocratie et contre l’instrumentalisation des sciences, notamment).
Notez un paradoxe. Puisque nous sommes nous-mêmes victimes de ce « biais d’étiquetage » qui conduit certains à carrément refuser de nous lire au prétexte que nous serions trop militants, pourquoi nous entêtons-nous donc à clamer nos affiliations politiques? Pourquoi insistons-nous à ce point sur l’importance d’affirmer d’où l’on parle, pour l’esprit critique? Cela pourrait sembler très peu stratégique, n’est-ce-pas? Étonnamment, on nous interroge beaucoup plus sur d’autres aspects de notre stratégie, mais très peu celle-ci.
La raison, c’est que nous pensons que s’il y a effectivement de mauvaises utilisations des étiquettes, il y en a aussi des bonnes, et même, des incontournables, si l’on souhaite faire preuve d’esprit critique. Précisons le d’emblée : il ne s’agit pas de classer les gens dans des « camps » et de rejeter leurs discours en bloc sur la base de ces « camps »2.
Reconnaissons que s’identifier à un camp présente des risques d’auto-essentialisation et de défense de son identité, autrement qualifiés de biais pro-endogroupe. Alors attention, il y a des identifications liées à ce qu’on est, comme l’ethnocentrisme (à ce sujet voir par exemple cette vidéo de Horizon Gull), mais il y a aussi des identifications liées à ce qu’on fait, comme le corporatisme. Il faut effectivement rester vigilant à ne pas défendre son ‘camp’, celui auquel on s’identifie ou se rattache, au seul prétexte que c’est « notre » camp, au nom d’une « nécessaire unité » face à un ennemi commun (travers du « on est les gentils et ils sont les méchants »)3. C’est un danger réel, mais la vérité est qu’effacer l’étiquette ne fait en la matière que casser le thermomètre : ces dynamiques auront lieu qu’on reconnaisse son appartenance à une communauté ou non, et les « appels à l’unité » ayant lieu dans la communauté sceptique pour silencer nos contributions schismatiques, couplés à un discours prégnant qu’il n’existerait pas vraiment de communauté sceptique, ne fait que renforcer cette conviction en nous. Pour lutter contre ce risque, il faut moins se prémunir des étiquettes que les diversifier pour éviter la binarité qui va conduire à cette opposition gentils / méchants, et il faut également apprendre à identifier en soi les signaux émotionnels qui nous conduisent à ne pas oser contredire le groupe auquel on s’identifie (mais l’idée que l’hygiène intellectuelle ne peut se passer d’hygiène émotionnelle et morale, c’est pour un prochain billet). En ce qui concerne la gauche radicale, ce risque existe clairement, mais ne vous inquiétez pas trop pour elle, elle a aussi une grande tendance à la scission dès qu’un désaccord surgit.
De part notre situation de militants de gauche radicale, nous avons une perspective que nous pensons utile de partager sur la manière dont les biais idéologiques interfèrent avec l’esprit critique. Nous le répétons souvent : « personne n’est neutre ». C’est souvent mal compris, à cause d’une heuristique malheureuse, liée, ironiquement, aux biais idéologique de ceux qui ne veulent pas prendre le temps de nous lire, en fait4) : certains pensent que cet argument est avancé pour défendre la thèse que « du coup tout se vaut » ou que « on ne peut rien trancher ». Ce n’est pas du tout ce que nous défendons, nous, en tant que collectif. Ce que nous défendons, c’est que c’est le décalage entre les perspectives qui permet d’approcher une connaissance plus complète de la réalité : entre autres comme il est impossible de savoir si l’homéopathie a un effet clinique tout seul à partir de sa perspective individuelle, il est nécessaire de mettre en commun les perspectives sur les faits sociaux si on veut les décrire au mieux. Lorsqu’on dit « personne n’est neutre », c’est en fait une réponse à la liste des adjectifs péjoratifs listés ci-avant : oui, nous avons notre propre perspective, mais vous aussi, et la vôtre, de perspective, elle est aussi ancrée dans une idéologie, même si vous ne le percevez pas. A partir de ce constat, notre postulat, qui n’est pas une hypothèse coûteuse, est qu’il est nécessaire de confronter ces perspectives pour produire une description du monde plus riche, et ce n’est pas en nous discréditant sur la base de présupposés que nous ne sommes pas neutres, que nous serions plus biaisés5, qu’une telle confrontation pourra se faire. Suspendez un temps votre jugement sur l’idée que les militants seraient plus biaisés6 et prenez-nous au sérieux le temps de cet série d’article, et vous comprendrez mieux… notre perspective.
Nous allons tenter de vous donner quelques clefs pour que chacun perçoive enfin un peu mieux comment ses biais idéologiques influencent son rapport au savoir, et comment le gérer (en tous cas, comment nous, les deux auteurs de cet article, on le gère). Bonne lecture!
Jeu des 7 erreurs
Nous allons commencer cet article par un exercice. Regardez cette carte. Est-elle fausse ?
Regardez bien. Vous êtes sûr de vous ? Quelle erreur voyez-vous ? Prenez le temps de le formuler, s’il-vous-plaît, sinon l’exercice ne vous permettra pas de comprendre la suite. Exercez vos outils actuels d’esprit critique pour chercher. Sérieusement, hein. Ok. Bon. Maintenant si on vous dit que des essais nucléaires sont prévus quelque part entre l’Australie et l’Antarctique. Regardez à nouveau la carte. Est-elle fausse ? Vérifiez, s’il-vous-plaît. Utilisez vos outils critiques habituels. Ok. Bon, vous avez vu ?
Il manque la représentation des îles, et notamment celles qui sont normalement très légèrement à l’est de cette zone géographique. Vous l’aurez vu si vous êtes géographe, ou si vous avez fait l’effort d’aller chercher une autre carte pour comparer. Ça se voit par exemple sur cette carte :
Qu’est-ce qu’on cherche à illustrer ici ? Que notre perception des erreurs découle énormément du fait qu’on perçoit un enjeu à les trouver, ou qu’on a (vraiment) une excellente connaissance du sujet traité (et ça se recoupe: l’intérêt intellectuel dont découlera une excellente connaissance sur un sujet donné sera régulièrement corrélé à des enjeux individuels en lien avec ledit sujet, même si on ne le perçoit pas toujours7). En l’occurrence dans cet exemple, ce qui conduit à identifier l’erreur, c’est que si on fait des essais nucléaires proches d’une zone habitée, il y aura des morts, il y a donc une motivation qui conduit à vérifier spécifiquement que ce n’est pas le cas.
La première fois qu’on vous a demandé quelle erreur vous perceviez, vous avez peut-être (surtout si vous êtes géographe) pensé à d’autres choses. De fait ce ne sont pas les « erreurs » qui manquent, si on les cherche. Par exemple, toute projection d’une sphère sur un plan s’accompagne forcément d’une perte d’information8. Vous avez eu raison, si vous avez relevé ce type « d’erreur » dans la carte qu’on a donné initialement. Cette carte pose bien ce type de problème. Mais il est très peu probable que vous ayez été en position de vous douter de l’erreur qu’on allait mettre en avant avant qu’on ne vous parle des essais nucléaires sur des îles au sud de l’Australie (même si vous êtes géographe). C’est seulement quand on vous a donné l’enjeu que vous avez eu une chance de relever ce manque précis de la carte.
Quel rapport avec l’idéologie, nous direz-vous ? Soyez patients, on y vient.
L’esprit critique est-il un muscle ?
Il y a peu, on a vu passer le tweet qui suit (daté du 3 janvier 2021). Le contexte de ce tweet, c’est un conspirationniste de la vague pro-Raoult, qui après des échanges avec un groupe de sceptiques9, a pris conscience qu’il ignorait une grande partie des données disponibles, et a pris du recul sur ses croyances. Plusieurs personnes ont émis un doute sur la sincérité de la personne tellement elle était un relais important des pires discours conspirationnistes, et notamment, donc, ce tweet :
Cette phrase, elle à énormément fait tiquer Ce N’Est Qu’une Théorie10 : que peut bien signifier la phrase « l’esprit critique est une sorte de muscle » ?11. Pour le comprendre, et pour comprendre les raisons pour lesquelles elle a fait bondir Ce N’est Qu’Une Théorie, il faut là encore, un contexte plus large, alors nous allons partir d’un peu loin, mais on va revenir au sujet après.
Commençons par les raisons pour lesquelles Ce N’est Qu’Une Théorie a tiqué :
Certains d’entre vous ont peut-être des difficultés de type déficit d’attention, ou dyspraxie. Moi je suis légèrement dyspraxique, et on (parents, instits, proches) a beaucoup forcé pour que je « fasse attention ». Je me cogne dans les meubles, je fais tomber les objets, je renverse mon café. Et ça m’a appris quelque chose, c’est que « faire attention » tel que l’entendent la plupart des gens (être attentif, avoir l’esprit alerte) ne sert strictement à rien contre ma dyspraxie. Les seules solutions qui fonctionnent pour limiter la casse, c’est d’avoir des meubles molletonnés, de la vaisselle en plastique, et de ne pas avoir d’enfant à proximité lorsque je manipule du chaud ou du coupant. En gros : des mesures totalement externes à mon cerveau. Ma dyspraxie n’est pas corrigée par un entrainement à l’effort d’attention, qui pourrait muscler mon attention (ce n’est pas faute d’avoir essayé !) mais (à 99%, car je dois « ponctuellement » faire attention, comme tout le monde) par des gardes fous. Je suis intimement convaincue que c’est vrai de la même manière pour tous les « travers »… ou « biais » cognitifs, qu’on peut avoir. Donc mon interprétation découle d’abord de ça : par muscler son esprit critique, je comprends «s’entrainer à faire attention », et comme je suis absolument sûre que ça ne peut pas fonctionner, je pense que cette stratégie ne peut conduire qu’à un échec patent, qui aura les mêmes conséquences que lorsque je « prête attention » à ma dyspraxie : des catastrophes.
Ce N’est Qu’une Théorie
Les dangers de croire « maîtriser la situation »
Alors. Dans le cas de la dyspraxie, il s’agissait de faire attention à ne pas faire tomber la vaisselle ou ne pas se cogner. Mais quand on parle de muscler son esprit critique, on parle de faire attention à quoi, exactement? La plupart des sceptiques ou zététiciens vous diront « nos biais » ! Mais ils ne sauront que rarement dire comment on doit y faire attention. Et si nous ne sommes pas tous dyspraxiques, nous sommes en revanche tous biaisés. L’enjeu est donc de taille.
Comment les sceptiques pensent-ils faire attention à leurs biais, alors? Nous avons quand même une idée. Le milieu sceptique contemporain (la zététique 3.0) est une communauté entre autre articulée autour de groupes Facebook assez nombreux (comme le groupe Zététique), de contenus blogs et vidéo qui enseignent des « outils critiques », et de références communes (ce que sont les biais, les « sophismes », « la » méthode scientifique, etc.). Une de ces références est le critère popperien (car développé par Popper) de réfutabilité. La réfutabilité est un concept complexe, mais la compréhension simplifiée qu’en ont beaucoup des sceptiques, c’est que ce critère est le cœur de « la » méthode scientifique, et notamment, qu’il permet de trancher la validité d’une théorie12. Et le mythe (et vraiment on insiste, il s’agit d’un mythe) qui accompagne souvent cette compréhension simplifiée, c’est que si une prédiction de la théorie qu’on regarde est fausse (par exemple, le médium doit deviner si la pièce va tomber sur pile ou face et il se trompe), alors la théorie est fausse et doit être rejetée. Elle est réfutée. Soit, ici, on conclura que le médium ne peut pas deviner ce qui va se produire.
Réfuter la théorie ou réfuter les données? Les hypothèses ad-hoc13
En réalité, une erreur serait certes suffisante pour rejeter l’idée que le médium puisse parfaitement prédire l’avenir, mais c’est une appréhension du supposé pouvoir de prédiction des médiums qui a l’inconvénient (majeur) de ne pas être celui des médiums eux-mêmes, et on n’a fait que démontrer qu’ils ne sont pas capables de faire ce qu’ils ne prétendent pas faire. Vous nous accorderez, nous espérons, que ce n’est pas une conclusion d’un intérêt majeur. Si la théorie est, plus modestement, que le médium a un certain pouvoir de prédiction (et c’est ça la théorie, il est douteux que des médiums prétendent tout prédire), en pratique on va réfléchir à nouveau, se demander si la méthodologie permettait vraiment de tester la théorie, et refaire une méthodologie. Par exemple, prédire que le médium doit deviner plus de 50% des tirages de pile ou face, et faire 100 tirages dans la méthodologie. Ou se dire « celui-ci est un imposteur, il faut essayer avec d’autres médiums ». On appelle ça une hypothèse ad-hoc, et les sciences fonctionnent tout le temps avec des hypothèses ad-hoc, les théories sont affinées, retravaillées, re-testées. Elles ne sont jamais réfutées à partir d’une seule expérience.
C’est important de souligner ici que ce n’est pas (du tout) une erreur que ferait la zététique classique, mais un glissement s’est opéré sur ce point avec le glissement dans l’objet de la zététique : la recherche en parapsychologie portait déjà cette critique face aux tentatives de « débunkage » naïves, et avait nourrit de ces critiques la zététique 1.0. Depuis, l’approche ancienne de la zététique, qui met en avant surtout un travail sur les objets « classiques » de la discipline (et qui existe toujours, portée par des figures anciennes du mouvement, comme Serge Bret-Morel et Jean-Michel Abrassart) se retrouve un peu noyée sous l’avalanche de l’approche plus (avec de gros guillemets) « épistémologique » de ce que signifierait « zététique » (une tentative d’approcher ce qu’est « la » science sur la base d’une compréhension au reste très lacunaire des billevesées popperiennes); mais à cet égard la jeune génération trouverait déjà grand profit à s’intéresser aux travaux de la génération précédente.
Bon, comme nous le disions, c’est un mythe, cette idée que la réfutation est le couperet définitif entre le vrai et le faux (cf l’encadré qui précède pour les détails). Il découle de la formulation simplifiée du critère de Popper qui est que « si la prédiction d’une thèse est réfutable et non ambigüe, alors la thèse est scientifique ». Pour beaucoup de sceptiques, cela signifie qu’il n’y a que les sciences où on peut faire des expériences (pour « tester les prédictions ») qui sont des « vraies » sciences14. Mais on peut avoir une définition bien plus large de ce qui fait la scientificité d’une discipline ou d’une théorie, avec un critère qui en fait préexistait à Popper, à savoir : on doit pouvoir remettre la théorie en question au fur et à mesure qu’on a de nouvelles informations. Il y a aussi un autre mythe connexe à tout cela, très présent dans le milieu sceptique, qui est qu’il faudrait énormément se méfier de ce qui confirme la théorie, car si on y prête trop attention, on risque de tomber dans le biais de confirmation.
Or, en pratique, ce qui fait tenir une théorie avant qu’elle ne soit réfutée, c’est sa cohérence interne et le nombre d’éléments qui jouent en sa faveur, l’absence (et, ça va ensemble: l’absence de nécessité) d’un paradigme de substitution, c’est-à-dire, en gros, d’une autre explication pour la remplacer (voir Kuhn, La structure des révolutions scientifiques); ou pire: c’est sa praticité, et sa fertilité conceptuelle, sa capacité à proposer des solutions techniques (c’est l’idée que défend Feyerabend dans Contre la méthode)15. Si beaucoup de preuves ont déjà été fournies en faveur de la théorie, il ne suffira pas d’une prédiction non vérifiée pour la rejeter, on formulera des hypothèses ad-hoc16. Et au début de l’élaboration des théories, on listera d’abord tous les indices qui plaident en sa faveur – une théorie, et plus largement un paradigme, arrivent démentis par « les faits »17. Pire, au tout départ, on élabore généralement une théorie à partir d’observations totalement aléatoires que l’on fait sans aucune méthodologie, et que l’on agence entre elles. C’est seulement quand une théorie a grossi assez, et qu’elle commence à faire méthode, qu’elle peut être assez solide pour supporter le choc d’une tentative d’infirmation.
Bon, nous nous sommes beaucoup éloigné-e-s, on va tâcher de revenir au sujet. Dans le milieu zététique / sceptique contemporain, notamment en ligne, les objets sur lesquels on exerce notre esprit critique, ce sont principalement des discours. Des textes, des vidéos, qui contiennent des discours, des argumentations, des thèses. Et, plus ou moins consciemment, nous ne saurions pas dire comment, il y a une sorte de transfert de ce qui est compris de « la méthodologie scientifique » (chercher les prédictions non vérifiées pour réfuter les théories), pour faire l’analyse de ces discours (chercher des erreurs argumentatives pour rejeter les thèses). Deux « outils » qui sont beaucoup utilisés pour identifier ces erreurs sont des catalogues d’erreurs courantes, à savoir 1- la connaissance des paralogismes (faux raisonnements), et 2- la connaissance des biais cognitifs18. Ces outils sont utiles. Cependant, parce qu’il s’agit d’une sorte de bestiaire des « erreurs courantes » plutôt accessible, et qu’il va avec la croyance qu’exercer son esprit critique consiste à «débusquer les erreurs » pour « réfuter », il conduit à… penser qu’on peut limiter son approche critique au debunkage (défini ici comme « debusquer les erreurs »).
Et, nous revenons ENFIN au tweet. Nous sommes prêts à parier que c’est ce que voulait dire Evidence Based Bonne Humeur dans son tweet : avoir de l’esprit critique, ce n’est pas possible du jour au lendemain, car il faut avoir appris tous ces outils et s’être entrainé à les utiliser, avoir ainsi musclé son esprit critique, pour pouvoir repérer les erreurs
(EDIT : EBBH ne sert ici que de prétexte à mettre le sujet sur le tapis, car il convient d’illustrer comment ce que l’on critique se manifeste, concrètement et matériellement, dans la sphère sceptique, c’est-à-dire d’étayer nos dires. Mais ce travers ne lui est pas du tout spécifique, c’est un travers assez généralisé dans le milieu).
En réalité, ces outils ne sont que des outils. Apprendre à identifier les paralogismes et les biais pour l’esprit critique, c’est comme apprendre ce que sont un marteau et un tournevis pour le bricolage : ça ne sert à rien si on n’apprend pas en même temps à les utiliser pour construire, élaborer, ou réparer un édifice (que ce soit une maison, ou une thèse). Vous pouvez bien connaitre tous les outils que vous voulez, il est improbable que vous ayez trouvé tout seul qu’il manquait les îles sur la première carte. Mais si je vous informe qu’il manque les îles… vous n’avez pas besoin de tous ces outils pour l’intégrer à votre représentation du monde ! Vous pouvez le voir sans difficulté. Le point crucial, ici, c’est que la connaissance des paralogismes et les biais ne sont en réalité pas les alpha et omega de l’esprit critique. Ils n’en sont qu’une des (petites) composantes. Au final, l’esprit critique, tel qu’il est conçu dans ces sphères, consiste plus à développer un radar qui fait « bip bip » lorsque certains signaux sont identifiés, qu’à mener une activité de réflexion dont l’objectif serait de « comprendre », décortiquer, analyser (donc articuler des éléments ensemble pour voir s’ils tiennent la route)19.
Les outils sont-ils totalement inutiles, alors ? Non ! Les raccourcis et les « bip bip » ne sont pas totalement inutiles, mais uniquement si leur pertinence est ré-évaluée au cas par cas, et s’ils s’inscrivent dans une démarche critique plus élargie. Il est probable qu’une partie d’entre vous soit allé comparer la première carte avec une autre, pour voir les différences. Nous ignorons si cela a suffi, mais c’est déjà un bon départ. C’est une démarche bien plus louable que de se limiter à la croyance qu’il suffit de connaitre ses biais. Chercher une information tierce, c’est compléter les données, et c’est nécessaire pour éviter au moins un biais, le biais de cadrage. C’est une idée que nous avions déjà un peu développé dans la partie 6 de « Les gens pensent mal : Le mal du siècle ? » : une condition nécessaire à l’esprit critique, c’est de ne pas se limiter aux informations qui viennent à soi. Cependant, si vous l’avez fait, aller vérifier sur une autre carte, ne soyez pas trop enthousiastes quand même: le simple fait que nous posions la question « y-a-t’il une erreur sur la carte » ou « est-elle fausse » était une incitation à la prudence. Admettons que nous ayons commencé cet article en faisant mine d’écrire un article de géographie, et que la carte ait été présentée sans aucun sous-entendu qu’elle puisse être fausse: parmi les petits malins qui sont présentement en train de se féliciter d’être allé comparer, combien d’entre vous l’auraient effectivement fait ? Probablement pas nous, en tout cas. Soyons honnêtes : il n’est juste matériellement pas possible de tout vérifier. Comme il n’est matériellement pas possible d’être vigilant à tout instant.
Par ailleurs, combien d’entre vous ont effectivement trouvé, même en comparant les cartes? Probablement assez peu. Car pour trouver les erreurs… il faut savoir quoi chercher ! Et c’est là que la question de l’idéologie va pointer son nez.
Vous avez une idéologie, oui, vous
Vous avez une trajectoire, un vécu, et une identité. Ça va avoir une influence sur ce que vous jugez important dans la vie. Ce que vous jugez dérisoire. Il est probable qu’au cours de votre vie, vous ayez évolué à propos de ce que vous jugez important ou dérisoire. Vous ne doutez pas qu’il y a des choses importantes dont vous n’avez pas connaissance, mais comme vous n’en avez pas connaissance… elles ne sont pour le moment pas importantes pour vous. L’importance qu’on donne aux choses n’est pas binaire, il y a des degrés. Mais globalement, plus on va juger une chose importante… plus on va avoir cette chose en arrière-plan dans notre esprit, lorsqu’on lit un discours ou un argumentaire. Plus la motivation qu’il y a à débusquer les erreurs qui ont un enjeu au regard de ce que soi-même, on juge important, sera forte. Plus on détectera, donc, les erreurs liées à ces préoccupations qu’on a en arrière plan20.
Notre capacité à détecter les erreurs est intimement liée à notre idéologie, autrement dit, à ce que l’on a comme perceptions, croyances et convictions sur ce qui est important. Comprendre cela, c’est extrêmement important (clin d’oeil, c’est meta 😉 ). Car si vous ne le comprenez pas, penser qu’il « suffit » de diversifier ses sources pour lutter contre son biais de confirmation… peut empirer le biais de confirmation ! Par exemple, on risque de lire en cherchant (et cela peut même être tout à fait inconscient) seulement à débusquer les erreurs (par la confrontation des sources contradictoires). Et débusquer les erreurs on le fera surtout envers les thèses qui infirment notre «vision du monde », puisque… cette vision du monde elle est importante pour soi ! Et ce qui va à l’encontre ne l’est pas autant. On se l’est construite en fonction de ce qui nous touche, dans notre vécu.
En résumé, plot twist : se limiter à débusquer les erreurs dans un discours, et rejeter ce discours parce qu’il contient des erreurs, on le sait, on les a détectées ( ! ), c’est entretenir son biais de confirmation ! Ainsi, typiquement, une personne libérale pourra lire Libération et dire : « aha, ce journal de gauche a tort sur le nucléaire ! » Mais ne lira pas le Figaro en se disant « Aha, ce journal de droite entretien le mythe de la méritocratie ! ». C’est là qu’est le biais idéologique : dans notre pouvoir de détection des erreurs qui est asymétrique, proportionnel aux enjeux qui nous tiennent à cœur21.
Par ailleurs, il est important de savoir qu’indépendamment de nos valeurs, nous ne sommes de base pas exposés aux différentes données et idées de la même manière. Certaines idées sont hégémoniques, c’est-à-dire bien plus abondantes et facilement admises. Peut-être n’y avait-il aucune île sur les cartes que vous êtes allées chercher pour « confronter les données ». Elles sont en fait absentes de la plupart des cartes que nous avons nous-même vues en ligne. Mais on peut aussi souligner que sur l’énorme majorité des cartes sur lesquelles ont tombe, l’Europe est au centre. Et il faut savoir qu’il est probable que même lorsque l’on est sensible à certains enjeux, il soit difficile de se défaire complètement de ces représentations hégémoniques. Vous pouvez si vous le souhaitez vous soumettre à quelques tests d’associations implicites élaborés par l’Université de Harvard pour vous en rendre compte, même si l’honnêteté intellectuelle nous oblige à préciser que les résultats de ces tests sont sujets à controverse (c’est juste que bon, on vous avait promis des tests)22.
Pensée unique versus pensée hégémonique
Certains parlent de pensée unique, mais nous n’aimons pas (du tout) ce terme. Il conduit à la même erreur en miroir que celle qu’il prétend dénoncer : ceux qui utilisent ce terme de « pensée unique » auront tendance à adhérer sans beaucoup de recul à des idées… du moment qu’elles s’opposent à ce qu’ils qualifient de « pensée unique », et ils auront tendance à prendre ceux qui pensent très différemment d’eux pour des abrutis ou des gens « plus biaisés », ce qui est un problème que nous dénonçons assez abondamment dans Les gens pensent mal : Le mal du siècle ? pour ne pas le développer à nouveau ici. En pratique, il ne s’agit pas d’identifier la pensée hégémonique pour adhérer à tout ce qui pourrait s’y opposer, mais seulement de se donner une occasion d’identifier aussi les représentations marginales du monde pour s’exposer à d’autres perspectives.
Quelles implications ont les représentations hégémoniques du monde pour notre culture politique? Pour l’illustrer, on pourrait dire qu’il est facile pour un centriste ou un libéral de ne jamais avoir entendu parler de la théorie marxiste de la valeur, mais il est absolument impossible pour un communiste de ne jamais avoir entendu parler de théorie libérale du ruissellement. Les idées relatives à des représentations du monde marginales ne sont quasiment jamais diffusées. Si les deux idées précitées n’ont pas la même diffusion, c’est parce que l’une sert à justifier une représentation du monde dominante, tandis que l’autre sert à justifier une représentation du monde marginale. Car ce qui est dominant (et non unique), c’est moins une « pensée » (des raisonnements) qu’une représentation du monde. Les justifications de cette représentation peuvent varier, et même considérablement; mais pour ce qui est de la représentation du monde qu’elles viennent justifier, c’est déjà clairement moins le cas. Reprenons notre exemple: varier ses sources en lisant à la fois Libération et le Figaro. Vous y trouverez des lignes politiques très différentes… tant qu’on n’en vient pas à une critique de fonds de l’idéologie économique libérale. Libération, comme Le Figaro, fournissent chacun leur propre système de justification de ce système économique, le premier en mettant une emphase sur le libéralisme moral (libertés de principe à ce que les minorités puissent vivre comme elles l’entendent), le second, à l’inverse, en mettant l’emphase sur un conservatisme moral (défense de l’ordre moral établi). Ce sont de vraies différences, et c’est dire que l’expression « pensée unique » est d’un simplisme ahurissant; mais ces différences ne portent pas sur la représentation du monde qui, de fait, correspond aux intérêts de la classe dominante: le libéralisme économique est bon, ou a minima, il est traité comme un donné invariant, le cadre de tout débat. Vous ne trouverez dans Libération que quelques pièces jetées aux critiques de la logique libérale dans ses pages Rebonds (son lectorat inclinant à gauche, il faut bien lui donner de temps en temps des raisons de lire ce journal plutôt que le Figaro), mais sans que ça n’influe sur la logique générale qui sous-tend l’ensemble du journal depuis sa refondation en 1981. Pas de pensée unique donc, mais une représentation du monde hégémonique.
Nous ne souffrons donc pas tous de la même manière des biais d’exposition aux idées. Attention, on peut avoir une représentation du monde minoritaire et tomber dans des biais de confirmation (comme l’illustre le complotisme). Mais ça demande des « stratégies » en plus pour « éviter les données contradictoires », comme refuser complètement de s’exposer à certains médias, ou considérer que ce qu’ils disent est toujours mensonger. On notera que ce n’est pas limité à ces minorités, d’ailleurs : les centristes et libéraux, eux, invoquent aussi des « bonnes raisons » d’exclure certains discours de leur élargissement de perspectives : ces discours sont trop virulents, trop militants, trop idéologiques (qui est un mot allégrement confondu avec mensonger, en fait… vive l’appauvrissement du langage)… comprendre trop «étiquetés » politiquement. Par ailleurs, comme on l’a dit, on verra bien plus certaines erreurs que d’autres selon les connaissances qu’on a d’un sujet. Cela vaut autant pour des sujets « évidemment scientifiques » comme la vaccinologie (il est plus difficile de se faire un avis bien informé sur les vaccins si on ignore ce qu’est l’ARNm) que pour des sujets moins évidemment scientifiques, comme la pauvreté (il est difficile de se faire un avis bien informé… quand on n’a pas été pauvre… avec dérogation si on est sociologue spécialiste de la pauvreté). Il est difficile de se faire un avis bien informé sur le racisme si on n’a pas vraiment subi le racisme, également (bien que lire la littérature en sciences humaines et sociales, qui s’attache à décrire les oppressions, puisse considérablement aider).
En résumé : s’exposer à des médias différents n’entraine donc pas du tout mécaniquement le fait qu’on aura une lecture critique symétrique de ces différents médias. Et le croire peut au contraire conduire à manquer de recul critique, à renforcer certains de ses biais.
Dans la Partie 2 – Une méthode pour limiter ses biais idéologiques ?, nous aborderons plusieurs outils pour parer aux biais de motivation qui influent sur la probabilité de détecter les erreurs et aux biais d’exposition aux données, et ainsi limiter un peu les biais de confirmation et biais idéologiques qui en découlent.
Merci déjà à Germain, Patient Zéro, Tankietfield, annoyinganoia, Lucie Tréto, Émeric, Kum0kun, Vin Teuil, Nonoche, Dr Baratin, Goto Van Kern, Rym, Patchwork, et Jay Setra pour leurs relectures et retours sur la série !
Notes :
- Message personnel de Ce N’est Qu’une Théorie : coucou à mon directeur de thèse qui m’a vu m’effondrer en pleurs au milieu d’une discussion sur l’épistémologie à cause de mon insatisfaction existentielle de ne pas trouver de moyens d’accès à une vérité certaine.
- Notez que cette remarque ne s’applique pas aux fascistes par exemple (et non, on ne taxe pas tous nos adversaires de fascistes; ironiquement, c’est un procédé qui est bien plus commun à droite, et de plus en plus commun au fur et à mesure qu’augmente la proximité au fascisme). Les fascistes ne sont pas rejetés par les antifascistes sur une base essentialiste, mais le sont par un rejet du fascisme lui-même, rejet informé par une compréhension de ce qu’est le fascisme, en tant qu’idéologie politique, du danger qu’il représente, et de son absence presque totale de préoccupation pour la réalité. Le fascisme ne peut se diffuser que par le mensonge et la déformation; et les fascistes sont passés maîtres dans l’art subtil et délicat de singer la bonne foi pour qu’on accepte de les traiter comme des interlocuteurs et d’ainsi leur offrir des occasions de tribune. Traiter un fasciste comme de mauvaise foi a priori est de très loin la démarche la plus prudente, tout comme ne jamais leur laisser l’opportunité de se présenter comme des interlocuteurs valables. Si vous voulez vous renseigner sur eux, dites-vous que les sources tant premières (leurs propres écrits) que secondes (les analyses des historiens comme des militants antifascistes) vous sont accessibles sans avoir besoin de leur adresser la parole.
Hormis les fascistes (et les autres courants à l’extrême-droite) néanmoins, ce genre de précaution est en règle très générale, inutile; les fascistes ne sont pas si difficiles à identifier, et en définitive, il n’y a aucune raison de supposer qu’une telle démarche d’ostracisation des fascistes conduirait, après une pente glissante, à agir de la même manière avec tous nos adversaires politiques. - L’appel à l’unité est systématiquement, en tant qu’appel à faire taire les dissensions internes, un appel à ce que les dominants d’un groupe ne soient pas importunés par les revendications des dominés au sein dudit groupe.
Au moment de la première guerre mondiale, les appels à l’Union Nationale, tant du côté français que de côté allemand, ont avant tout été un chantage au patriotisme pour que les socialistes et communistes de l’époque fassent taire leurs revendications et acceptent de participer à l’effort de guerre (nom trop poli pour la participation à la boucherie qu’a été cette guerre), hélas avec un succès très large puisque pratiquement toutes les sections de la IIème Internationale ont accepté ce jeu de dupes.
Dans un autre contexte, dans les années suivant mai 68, le marxisme orthodoxe (particulièrement le PCF) réunissait sur le vocable insultant de « luttes partielles » les mouvements de libération féministes, homosexuels ou racisés, reconnaissant nominalement l’existence de ces dominations mais (sur la base d’une très douteuse pirouette théorique) arguant qu’une révolution communiste résoudrait tous ces problèmes, et accusant très souvent les « luttes partielles » de diviser la classe en créant des différences au sein du prolétariat – ce qui revient à peu près à dire que c’est le fait de nommer et d’analyser ces différences qui en est à l’origine. La chose apparait au grand jour au moment des mouvements de grève qui agitent l’industrie automobile, impulsées par les OS (« ouvriers spécialisés », le bas de l’échelon des usines) pour la plupart immigrés ou fils d’immigrés, entre 1981 et 1984. Outre la réaction du pouvoir (prétendument) socialiste qui repeint ces grèves en agitations « d’immigrés » voire de « musulmans », la centrale syndicale CGT à laquelle adhèrent pourtant les meneurs grévistes a montré son empressement à… soutenir les grévistes le moins possible. Que dire par ailleurs des déclarations racistes des leaders du PCF de l’époque, embrayant dans la lignée de celles du premier ministre Pierre Mauroy… (sur ce mouvement de grève et l’attitude ambigüe des syndicats, on pourra par exemple se référer à cet article).
On reconnaitra sans peine, dans les discours sur l’unité et les divisions supposées instillées au sein du prolétariat par les « luttes partielles » des années 60 à 80, une préfiguration du discours actuel se revendiquant « universaliste » et « républicain », qui accuse en bloc le mouvement décolonial d’être « racialiste » (puisqu’il ose parler de race, fût-elle décrite comme une construction sociale et non, comme nos « universalistes » en carton le prétendent, une essence), voir « séparatiste ».
Ces « appels à l’unité » qui émanent toujours globalement des dominants au sein du groupe à « unifier », supposent que les personnes les plus vulnérables du groupe taisent leurs revendications (ce qui n’est pas tenable pour ces personnes), et en cela ils sont plus sûrement vecteurs de division que ne le serait le fait d’assumer les différences au sein du groupe, et d’en tirer les conclusions.
Quant aux marxistes qui hier repeignaient des grèves d’OS en agitation « musulmane », et qui aujourd’hui osent jouer au jeu idiot de « l’universalisme » républicain contre les prétendus « racialistes » (tout en étalant parfois leur nostalgie de l’époque de l’antiracisme Touche pas à mon pote où l’antiracisme était encore affaire de blancs), nous ne pouvons que leur suggérer d’être plus attentifs à ce qu’a pu en dire Marx lui-même; et d’aller lire, par exemple, cette déclaration de Marx, dans un contexte où les Irlandais étaient encore racisés en Angleterre:
« Ce qui est primordial, c’est que chaque centre industriel et commercial d’Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L’ouvrier anglais moyen déteste l’ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l’ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l’Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L’Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l’ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande.
Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C’est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente.
[…]
La tâche de l’Internationale est donc en toute occasion de mettre au premier plan le conflit entre l’Angleterre et l’Irlande, et de prendre partout ouvertement parti pour l’Irlande. Le Conseil central à Londres doit s’attacher tout particulièrement à éveiller dans la classe ouvrière anglaise la conscience que l’émancipation nationale de l’Irlande n’est pas pour elle une question abstraite de justice ou de sentiments humanitaires, mais la condition première de leur propre émancipation sociale. » - Au passage, un autre stéréotype à notre égard, l’idée que nous « traitons tout le monde de fachos », que nous « classons en gentils et et méchants », conduit également à des heuristiques totalement erronées. Nous défendons la nécessité d’usage des étiquettes, mais les étiquettes peuvent être binaires ou nuancées, et nous préférons les nuances. Une personne qui relaie un discours d’extrême droite par exemple peut être fasciste, ou confusionniste, ou confus, ou juste réactionnaire, ou encore tout simplement naïf. Ces stéréotypes ont récemment conduit de nombreux lecteurs, dans un article où il était écrit « untel sert la soupe à l’extrême droite », à conclure que nous considérions que « untel est d’extrême droite ! »… on a ici un très bon exemple de biais de confirmation, en fait… cette conclusion découlait des stéréotypes « ils classent en gentils et méchants » et « ils traitent tout le monde de fachos » , alors que la thèse n’était pas autre chose que ce qui était explicitement écrit « il donne tribune à l’extrême droite » (si on veut compléter, à la limite… par naïveté politique).
- Chose qui reste à démontrer par autre chose que des études pensées par des centristes qui définissent comme catégories supposément pertinentes d’analyse des trucs aussi fourre-tout et relatifs que extrêmes versus modérés ou droite versus gauche, d’ailleurs… il existe des listes très fines de courants politiques, ce serait bien de se pencher un peu dessus pour dé-pixeliser un peu le problème.
- Même si des militants peu rigoureux existent, oui, mais attention aux biais de confirmation et aux stéréotypes.
- Typiquement, l’intérêt pour les méthodes scientifique des auteurices du présent billet s’est manifesté dès l’enfance à cause de traits de personnalité qui les isolait dans leur vision du monde. L’autrice du présent billet peut par exemple témoigner du jour où son grand père avait fait des baguettes de sourcier pour elle, sa sœur et sa cousine, et où elle était la seule pour qui ça ne « marchait » pas, la baguette ne descendait jamais… c’était probablement plus lié à son aversion envers la triche qu’autre chose, mais cela à nécessairement orienté un besoin de comprendre comment « tirer les choses au clair », ou encore de comprendre pourquoi tout le monde n’avait pas la même expérience qu’elle du monde qui l’entoure. Le fait qu’elle soit minoritaire dans cette vision était assez essentiel dans cette dynamique : cela générait un enjeu personnel plus important.
- La projection de Mercator est connue pour ne pas conserver les aires des espaces géographiques respectives, les espaces les plus éloignés de l’équateur étant distordus d’une manière qui augmente leur superficie; tandis que la projection de Peters, qui vise à justement conserver les aires des différents espaces géographique, ne conserve pas les angles et vont distendre la forme de ces espaces pour compenser; la carte utilisée pour notre jeu, une projection de Winkel-Tripel, est une solution de compromis, qui ne conserve ni les aires ni les angles, mais restreint les déformations opérées sur les deux.
- Dont nous reconnaissons le travail à ce niveau : même si certaines critiques ont été émises par des proches de notre collectif et ont pu être prises en mode « inspection des travaux finis », on reconnaît l’énergie que ça demande, ce type d’échanges.
- Note de Ne N’est Qu’une Théorie : Et sur le coup je n’ai été pas du tout pédagogique avec son auteur, qui est également l’auteur d’une BD prisée dans le milieu sceptique (car ses ressorts comiques sont basées sur les situations rencontrées par les « sceptiques »), et y exerce donc une certaine influence (ce n’est pas un nobody quoi). J’admets que ma réaction n’était pas la plus adéquate, elle est liée à un passif mitigé avec ce sceptique… et mon intervention n’était pas constructive (la sienne non plus, mais ça ne me retire pas mes torts). En tous cas, c’est l’occasion de l’être maintenant, pédagogique.
- Cette métaphore est en fait utilisée dans la thèse de Richard Monvoisin, Pour une didactique de l’esprit critique, mais uniquement pour expliquer que le cerveau est fait de matière. On ne trouve pas dans cette partie de la thèse l’idée qu’on ne devrait pas pouvoir changer d’avis du jour au lendemain. Bon, la métaphore n’étant pas vraiment argumentée dans la thèse, on pourrait quand même se demander, si l’objectif n’est que de dire que le cerveau est 100% fait de matière, pourquoi il n’a pas été comparé à une pierre. En réalité, il y a quand même bien un implicite dans cette métaphore, c’est l’idée qu’il y a une possibilité de stimuler et d’entrainer l’objet. Si les prémisse sont là, même implicites, la conclusion qu’on ne pourrait pas changer d’avis facilement lorsque l’on est confronté à des preuves revient bien à EBBH. Tout cela est très… méta, on voit ici la puissance qu’on des prémisses implicites non questionnées dans le processus de construction de croyances non justifiées, puisqu’à aucun moment du processus il ne semble avoir été produit de données pour vérifier ou argumenter ni la prémisse, ni la conclusion
- C’est un statut qu’il est surprenant d’accorder, au-delà de la question de l’existence d’une méthode scientifique au singulier, quand on sait que c’est un critère qui est dépassé depuis bientôt 60 ans en philosophie des sciences, que même les versions raffinées du réfutationnisme telles que celle d’Imre Lakatos ont délaissé au profit d’une approche plus dynamique et, pour tout dire, dialectique, des progrès des connaissances. Profitons-en pour insister: y compris dans les approches réalistes de l’épistémologie, il y a eu de nombreuses avancées, de nombreux raffinages des thèses d’origine (si on place ladite origine sur Popper) qui valent la peine d’être lues, y compris pour nous qui nous approchons beaucoup plus des théories nominalistes, constructivistes et relativistes des sciences – a fortiori, et même si vous défendez le réalisme scientifique, vous avez tellement mieux à lire que Popper…
- Hygiène Mentale est encore une fois assez synchronisé dans son travail, avec le notre, car il vient de produire cette vidéo qui évoque justement les tiraillements entre rejeter les données versus la théorie quand les deux ne concordent pas.
- On a même vu un intervenant du groupe Zététique arguer qu’il suffirait d’avoir une machine à voyager dans le temps pour expérimenter le passé et donc « tester » les théories en histoire, pour justifier que l’histoire est bien une science… c’est dire à quel point ce mythe est têtu.
- Évidemment la fertilité conceptuelle pose d’énormes problèmes quand il s’agit d’évaluer à partir de quel moment on doit considérer qu’une théorie est devenue trop infertile pour que ça vaille la peine de continuer à la creuser – problèmes que n’ignorait pas l’auteur, du reste. Notez bien qu’il n’y a aucun système épistémologique existant qui ne pose pas ce genre de problèmes, et qu’il est parfaitement plausible qu’il n’en existe pas même de possible. Mais la difficulté de définir précisément un seuil à partir duquel la fécondité de la théorie ne suffit plus pour la défendre n’est pas une bonne critique de cette approche. L’idée qu’il faille forcément un « seuil » de basculement est une idée plus que hasardeuse, qui conduit en général à des ratiocinations sans fin sur le modèle du « à partir de combien de grains de sable on a un tas de sable« . Pour beaucoup d’objets scientifiques (c’est notamment le cas des objets historiques) c’est un fait qu’on va trouver une sorte de zone grise entre leur inexistence et leur existence, sans que ce soit vraiment dérangeant. D’un point de vue pratique, dans ce genre de situation, la majorité des cas sont assez clairs, seuls les cas (en général minoritaires) au sein de la zone grise posent réellement problème (et encore). Les objets scientifiques pour lesquels ça n’est pas le cas, pour lesquels il y a effectivement soit une présence, soit une absence, et pas de zone grise, se présentent immédiatement comme tels pour les sciences concernées; si ce n’est pas le cas, c’est que c’est un objet scientifique qui a une zone grise; et ne vous inquiétez pas, ça ne rend pas ces objets inutilisables pour autant.
- Un exemple parmi tant d’autres, choisi parce qu’il est relativement récent, et parce qu’il touche à une discipline dont le sérieux ne fait question pour à peu près personne: la physique.
Entre 2009 et 2011, dans le cadre de l’expérience OPERA, ont été réunies, dans le Laboratoire national du Gran Sasso, des données dont l’analyse a mis en évidence des particules arrivant dans le détecteur OPERA quelques 60 nanosecondes (c’est peut-être un détail pour vous, mais pour eux ça veut dire beaucoup) avant ce qui serait attendu si des particules voyageaient à la vitesse de la lumière. L’analyse (dont la rigueur n’est pas en cause) semblait solide; mais l’article rendant compte de cette expérience n’en concluait pas moins qu’il y avait urgence… à attendre de voir si la chose se confirmait: « Despite the large significance of the measurement reported here and the stability of the analysis, the potentially great impact of the result motivates the continuation of our studies in order to investigate possible still unknown systematic effects that could explain the observed anomaly. We deliberately do not attempt any theoretical or phenomenological interpretation of the results. » Cette conclusion, prudente, s’est avérée d’autant plus justifiée qu’en définitive, les analyses postérieures ont fini par conclure que les particules n’avaient pas voyagé plus vite que la lumière (mais attention: même si les résultats de l’analyse avaient finis par être vérifiés, cette conclusion prudente aurait été tout-à-fait justifiée quand même!). C’est un témoignage important de la manière dont une approche conservative des théories scientifiques est, en tout cas à l’échelle d’une communauté scientifique, positive – on en reparlera en détails si on écrit un jour un article sur Thomas Kuhn. Notez que cette histoire est l’illustration d’une stratégie communément utilisée par une communauté scientifique pour ne pas se laisser freiner dans la marche de la « science normale » que décrit Kuhn, par des données contraires à la théorie: la remise à « plus tard » de l’explication; et si ici le « plus tard » était déjà dans la perspective prévisible de la suite des événements à court terme, ça peut aussi être un « plus tard » indéterminé (il n’est pas rare qu’il dure jusqu’à l’éclatement d’une crise scientifique).
Remarquons aussi que dans ce cas, l’article se garde, explicitement, de formuler des hypothèses ad-hoc – mais ça n’est pas la seule stratégie. Il y a des stratégies qui, plutôt que remettre à plus tard l’explication, procèdent explicitement en corrigeant les données sur la base de telles hypothèses. Un cas connu est la manière dont Fritz Zwicky a corrigé ses données en formulant l’hypothèse d’une « matière noire » qui expliquerait la différence entre la « masse dynamique » et la « masse lumineuse »; en clair, Zwicky constate après calcul, à partir de l’observation de sept galaxies, qu’avec le modèle elles « bougent » comme si elles étaient beaucoup plus massives que ce qu’on peut déduire de leur masse à partir de leur rayonnement lumineux. De quoi « réfuter » le modèle… ou supposer l’existence d’une matière « noire » (inobservable, par les moyens de l’époque), qui expliquerait la différence: c’est parce qu’on peut pas la voir, c’est pour ça en fait, c’est sûrement pas la faute du modèle.
Si vous trouvez que la réponse du pauvre Fritz Zwicky ressemble au genre d’hypothèses que formulent les médiums (type « c’est parce qu’il y a interférence psychique par les sceptiques dans la pièce »), eh bien… vous n’avez pas (tout-à-fait) tort; effectivement, en surface, ça ressemble. Mais plus profondément, cette hypothèse a permis de sauver un modèle très fonctionnel, pour lequel on n’avait pas vraiment de remplacement; et l’hypothèse de la matière noire, qui n’est toujours pas vraiment acquise, s’est avérée en tout cas, plausible, en particulier après que Vera Rubin ait pu solidifier grandement l’hypothèse.
Il n’est pas rare d’ailleurs qu’une telle hypothèse ad-hoc conduise directement, et rapidement, à une découverte. La découverte de Neptune par Urbain Le Verrier, il la doit à une telle hypothèse, formulée quelques années auparavant par Alexis Bouvard: les anomalies dans l’orbite d’Uranus devait pouvoir s’expliquer si on supposait l’influence d’un corps céleste non encore découvert; et paf! découverte!
Ces stratégies de construction d’hypothèses ad-hoc s’avèrent souvent payantes (ajoutons: même quand elles sont le fait de médiums: elles ouvrent aux zététiciens et parapsychologues de nouvelles approches pour tester les hypothèses paranormales). - Et ce, à double titre:
D’abord, un changement de paradigme est un changement de conception sur ce qui fonde un « fait », par conséquent, le nouveau paradigme doit faire triompher sa conception du « fait » pour l’emporter.
Mais il y a aussi un aspect beaucoup plus direct et littéral: pour toutes leurs vertus, ni les théories de Galilée ni celles de Newton ne rendaient compte de la période de précession du périhélie de Mercure – et ce, même après que ces modèles aient eu le temps de se fortifier. - On a cité le biais de confirmation, qui recouvre plusieurs écueils, comme par exemple le fait de mémoriser plus facilement les informations qui confirment « notre thèse », les biais cognitifs sont des heuristiques, c’est à dire des moyens d’accès à la découverte. En tant qu’heuristiques, ce qu’on qualifie de « biais » sont des « raccourcis de pensée », les cheat codes de la découverte, qui sont dans de nombreux cas suffisants, et plus fonctionnels, car plus économiques, que les raisonnements élaborés, qui eux sont plus fiables, mais aussi beaucoup plus coûteux en temps et en énergie. Mais lorsqu’on les qualifie de biais, c’est généralement pour dire qu’ils sont erronés. Insistons: ce qui fait le « biais », ce n’est pas que le mode de raisonnement, c’est l’inadéquation dudit mode de raisonnement à une situation précise.
- A ce sujet vous pouvez explorer la distinction entre « connaissance du débat » (fallacies, etc) et « compétences pour débattre » (savoir bien argumenter), proposée par Baker, M. (2009b). Intersubjective and intrasubjective rationalities in pedagogical debates: Realizing what one thinks. In B. Schwarz, T. Dreyfus, & R. Hershkowitz (Eds.), Transformation of Knowledge Through Classroom Interaction (p. 145-158). London : Routledge. Mais plusieurs billets du présent site, voir par exemple ici ou encore là, ou même ici, ainsi nos prochains billets dans cette série vulgarisent déjà quelques outils.
- C’est une remarque qu’a récemment faite, concernant les théories conspirationnistes, le youtubeur de la chaîne américaine We’re in Hell: ces théories viennent renforcer notre vision du monde; comme il le dit, personne ne s’est jamais dit « je soutiens complètement Georges Bush Jr. sa war on terror, son occupation de l’Irak et son intervention en Afghanistan, j’aurais juste tellement aimé qu’il ne planifie pas la destruction des Twin Towers. ». Autrement dit : ceux qui remettent en question la présentation officielle des faits sur le 9/11 sont aussi des gens qui haïssent déjà Georges Bush Jr.
- Vous trouvez de nombreuses sources à ce sujet dans cet article où Julien Hernandez interroge des psychologues sociaux spécialistes du biais de confirmation. Dans cet article, notez qu’il est par ailleurs question d’une chouette expérience de psychologie sociale, « La pyramide à base carrée », qui montre à quel point il est nécessaire de mettre ses perspectives en commun pour contrer ces biais, cela fait écho à ce que nous écrivions en introduction : personne n’est neutre, mais c’est la mise en commun des perspectives non neutres qui permet de produire une vision du monde plus riche.
Une remarque d’un des psychologues cognitifs interrogés (Nicolas Sommet) nous a toutefois laissée dubitatifs, et comme elle est pile dans le thème de notre article, on va tâcher d’expliquer pourquoi: « les gens de gauche ont du mal à détecter les « fakes news » de gauche et, réciproquement, les gens de droite ont du mal à détecter les « fakes news » de droite, chacun dans sa paroisse politique, donc. » Bon déjà, c’est une formulation très centriste (binaire) de ce que nous expliquons ici (en pratique, les communistes ont aussi pas mal de motivation à détecter les erreurs de la gauche libérale, et inversement, par exemple…). Dans le même ordre d’idée, c’est passer sur le fait que certains groupes politiques ont une meilleure connaissance que d’autres des groupes politiques adverses (et c’est le cas très souvent à la gauche de la gauche). L’expérience sur laquelle Nicolas Sommet s’appuie, qui n’a que trois catégories d’orientations (« pro-conservative », « pro-liberal » et « non-political ») n’échappe d’ailleurs pas à cette critique (et ça n’est pas le seul reproche que nous avons à lui faire: le classement des news « non-political » est un problème – certaines des « non-political news » sont des enjeux politiques clivants aux USA; sans parler du fait que dire que des news sont fausses ne dit rien de leur plausibilité, et certaines fake news choisies sont plus plausibles que d’autres).
Ensuite, la formulation laisse entendre une certaine immunité des « centristes » (bien sûr ça peut être un effet indésirable, dû à la construction symétrique de l’assertion; on va revenir sur cette « symétrie »). C’est évidemment faux; les « centristes » ont une idéologie (et franchement, assez « radicale »), des intérêts, des à-priori; et ils sont d’autant plus mal équipés pour lutter contre ces à-priori que leur idéologie leur est très souvent transparente (elle ne leur apparait pas comme telle). Quiconque a vu s’agiter les militants macronistes sur les réseaux sociaux devrait voir de quoi on parle: ils ont soutenu la fleur au fusil tous les pires mensonges gouvernementaux et présidentiels.
Enfin, cette formulation en miroir n’est qu’un artifice rhétorique, un effet de sérieux, un moyen commode de se prétendre raisonnable par le simple fait qu’on tient une position de juste milieu – la chose est encore accrue par l’usage du terme très péjoratif de « paroisse ». - Les controverses portent entre autre sur la robustesse de ces tests et la question de savoir si ces « associations implicites » ont des effets prédominants sur nos comportements, il pourrait être argué qu’une motivation à les contrer (engagement anti-raciste, engagement anti-sexiste, et autoformation qui vont avec) ou des méthodes spécifiques permettent de contrer ces biais. Soulignons que si ces tests sont « proved wrong« , cela ne remettrait en cause que la balance relative entre l’effet de ces biais implicites, et la capacité d’autre facteurs à les contrer.
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