Bonjour à tou·te·s celle·ux qui nous suivent. Notre collectif ayant gagné en visibilité et en auditoire ces derniers temps, il nous semble opportun de faire un petit point sur notre travail, ses implications, sa place dans l’espace sceptique, ce genre de choses.
Tout d’abord nous tenons à remercier toutes les personnes qui nous écrivent pour nous dire que notre travail leur rend service et les aide à avancer dans leur scepticisme, ainsi que toutes les personnes qui se font le relais de nos idées. Nous ne recevons pas d’autre rémunération que ces encouragements pour le travail que nous accomplissons, et c’est quand même gratifiant et encourageant, c’est donc précieux pour nous.
Nous recevons également de plus en plus de propositions de collaborations, ainsi que des messages de personnes qui, inspirées par notre travail, souhaitent en imprégner le leur. Sur ce point, il y a quelques enjeux que nous tenons à souligner.
La plupart des gens qui ont eu besoin d’investir la métacritique (critique du scepticisme) au départ sont des gens pour lesquels la répétition des oppressions sociales dans les espaces zets / sceptiques classiques était devenue étouffante. Notre collectif a d’abord été, en interne, un espace d’autoformation et d’auto-défense contre l’instrumentalisation de l’épistémologie et des sciences dans l’entretien et la validation des structures qui nous oppriment et la plupart d’entre nous l’ont rejoint, cet espace, parce que cette instrumentalisation a des conséquences pour nous. Par « nous », on entend ici des femmes, des personnes LGBTQIA+, TDS, pauvres, handis, racisées. Certain·e·s personnes sont passé·e·s par cet espace et n’ont pas toujours saisi ces enjeux, sans doute n’étaient-ils possiblement pas formulés explicitement, ce qui a conduit à leurs départs, parfois sans heurts, parfois avec. Dans tous les cas, un tri s’est opéré et nous avons fini par trouver un équilibre. Les entrées dans le collectif sont désormais faites par le biais d’une cooptation stricte, après nous être assuré·e·s que les personnes identifiées seront bien sur la même longueur d’onde que le reste du collectif sur ces aspects.
C’est l’occasion de préciser quelque chose qui semble peu clair au vu de certains commentaires et réponses que nous recevons parfois. Par exemple, l’idée que nous serions des « chercheur·se·s en SHS ». Cela n’est pas exact. Nous sommes plusieurs, au sein du collectif, à avoir à la fois des diplômes (mais dans toutes les disciplines) et à subir certaines des oppressions sus-citées, mais il y a aussi parmi nous beaucoup de gens sans diplôme, autodidactes, et c’est un élément crucial dans ce qui fait notre enracinement critique (en lien avec l’épistémologie du point de vue). Cependant, nous avons également tou·te·s pour caractéristiques d’avoir un intérêt fort pour les sciences, l’esprit critique, et la connaissance (ce qui nous vaut de fréquenter pour la plupart les milieux sceptiques depuis de nombreuses années, et d’avoir consacré beaucoup de nos loisirs à nous former à certaines sciences ou en philosophie des sciences). Il convient de le préciser pour « débunker » un ad hominem dont nous sommes victimes de manière récurrente: il est faux que nous sacrifierions « la vérité » sur l’autel de nos motivations politiques. Cet ad hominem n’est pas seulement injuste : cell.eux qui s’y prêtent n’élèvent vraiment pas le niveau du débat et devraient probablement s’interroger sur la manière dont leur idéologie oriente leur interprétation de notre travail. Ce que nous proposons, en réalité, c’est un autre regard politique et social sur la zététique (plus généralement sur les conditions de production et de diffusion des savoirs) et il est important de dire que ce regard est situé : comparé à d’autres espaces de production et de diffusion des savoirs, les classes dominantes (les hommes blancs cis hétéros valides diplômés en particulier) sont en minorité au sein de notre collectif. Notez que nous avons opté pour « diplômés » au lieu de l’usuel « bourgeois ». Cet aspect, les diplômes, qui conditionnent l’accès à la production des savoirs, est clef, dans la compréhension de ces enjeux : on peut avoir, au moins en théorie, des chercheur·se·s LGBTQIA+, femmes, racisés, handis, etc, qui impulsent une dynamique de prise en compte de leurs enjeux, perspectives et intérêts en recherche. Ielles devront lutter pour la prise en compte de ces perspectives, parce qu’ielles sont minoritaires. Mais les pauvres et les personnes aux intersections pauvres x autre chose, elleux n’ont même pas cet accès. On ne peut pas être « pauvre et directeur·ice de recherche ». Nous sommes un des rares endroits où ces perspectives ont un espace pour être défendues, et où celle des pauvres en particulier, peuvent être exprimées.
Les profils diversifiés qui forment notre collectif sont le reflet des enjeux qui sont derrière nos motivations. Ces enjeux, ils apparaissent progressivement au sein de nos articles, mais nous sommes encore loin d’en avoir fait le tour. Nous n’avons pas encore défini ce que nous appelons « métacritique », car nous-mêmes, nous posons encore les jalons qui sont nécessaires à la définition du concept, et nous progressons nous-mêmes encore dans l’exploration de ce concept. Il nous importe de ne pas le définir trop tôt trop précisément, car le faire trop tôt comporte le risque de trop cadrer la démarche, et de limiter notre exploration. Nous n’exigeons pas de droit de propriété sur le concept, mais parce qu’il est au centre de notre travail, toute définition qui serait trop précoce et qui ne correspondrait pas à ce qu’il sera pertinent de faire vraiment à terme aura un impact sur la portée de notre travail . Nous demandons donc tout de même à ce que les personnes qui apprécient notre travail nous laissent a minima un droit de priorité et nous laissent le temps de définir le concept en premier. Mais pas maintenant.
Si nous exprimons cela maintenant, c’est justement parce qu’une des personnes qui nous suit a, tout à fait gentiment et sans aucune arrière-pensée, proposé de nous faire relire un article où il reformulerait à sa manière « sa conception de la métacritique ». In fine, l’article est très intéressant, mais ne correspond pas vraiment à notre conception de ce qu’est la métacritique, certes encore en cours d’élaboration, mais qui progresse tout de même (en fait, le problème ne tient pas à ce qui est dit dans l’article, mais dans ce qu’il laisse de côté). Bien que ses intentions ne soient pas en cause, c’est l’occasion de formuler une crainte que nous avons. Définir la métacritique, ce serait poser un acte fort de définition et donc de cadrage des débats futurs sur notre travail. Nous avons conduit avec notre collectif un patient projet depuis trois ans maintenant, avec très peu de reconnaissance et même plutôt de la violence jusqu’à très récemment. Le coût est tel que nous nous sommes assuré·e·s d’avertir et de protéger nos membres des retombées possibles de cette radicalité (ces risques échappent probablement à celle·ux qui n’ont jamais été radicaux·ales, ils sont pourtant réels). Nous avons construit un espace dans lequel nos voix sont enfin entendues, qui est au cœur de la reprise de notre autonomie, mais notre légitimité est encore fragile. Notre crainte, c’est que l’émulation qui résulte du travail gratuit de notre collectif devienne une simple ressource à l’usage du capital social, symbolique et économique de gens qui ne subissent pas les oppressions, et qui ne voyant certainement pas le mal, risquent tout de même de tomber dans un écueil très classique des luttes : paver l’enfer de bonnes intentions. Plusieurs membres de notre collectif ont des vies particulièrement difficiles, galèrent à se loger et payer des factures, ont été au bord de se retrouver à la rue, ont des handicaps extrêmement invalidants, ont des enfants à charge, ont un temps limité pour produire. En un mot : nous ne sommes pas compétitif·ve·s. Nous n’avons pas les moyens matériels d’aller vite, de nous imposer par la vitesse et une augmentation de notre productivité. Et le risque est donc que ce qu’on souhaite exprimer d’une certaine manière – parce qu’il y a des enjeux à formuler les choses d’une certaine manière – soient formulées (et mieux diffusées, supplantant nos propres productions, parce que les formulations plus consensuelles / moins radicales se diffusent mieux) par des gens qui certes vont plus vite, mais qui ont des angles morts sur des aspects qui sont essentiels à nos yeux. Cela risque de conduire à ce que des enjeux importants soient négligés. Notre crainte, c’est donc cela : que notre travail gratuit soit « recyclé » par des personnes qui ont plus de temps, plus de flexibilité, un meilleur accès aux codes sociaux, et pour qui ce recyclage est d’abord un enrichissement de leur capital et un possible tremplin de carrière, et que ces choses soient dites par des personnes qui ont leurs préoccupations, et leurs propres intérêts scientifiques et intellectuels autrement situés, pas forcément alignés sur les nôtres, là où pour nous la motivation et l’objectif premier c’est surtout, comme on l’a dit, d’éviter l’instrumentalisation des sciences pour nous opprimer (cf par exemple la série Les gens pensent mal : le mal du siècle? où nous montrons comment l’instrumentalisation des sciences se répercute sur les minorités).
Cette crainte est par ailleurs nourrie par la connaissance que certain·e·s vieux·eilles militant·e·s parmi nous ont de dynamiques récurrentes: chaque fois que des groupes radicaux parviennent à se faire un espace dans lequel leurs voix portent, des dominant·e·s bien intentionné·e·s viennent « contribuer », et les premier·e·s concerné·e·s finissent sur le bas-côté pendant qu’est diffusée une version largement aseptisée du discours initial. Ça s’est produit pour le féminisme (féminisme blanc bourgeois qui lutte pour l’égalité des salaires là où ce n’est pas une priorité pour les ouvrières qui touchent comme leurs maris le SMIC), ça s’est produit pour l’antiracisme (« Touche pas à mon pote » : faut-il expliquer en quoi le slogan lui-même est un effacement des premièr·e·s concerné·e·s?), ça s’est produit pour les luttes queer, etc.
Il y a donc des enjeux de possible répétition des mécanismes de domination à ce niveau, et nous demandons vraiment à celles·eux qui apprécient notre travail de les garder en-tête, notamment ceux qui sont des hommes blancs hétéros cis valides diplômés, ou qui n’ont qu’un seul facteur d’oppression. Plus on a de privilèges, moins on a conscience des rapports de force, des questions de faits accomplis, des problèmes découlant du sentiment d’illégitimité et des soucis de motivation et d’assertivité. Soyez vigilant·e·s, laissez de la place et du temps à celles·eux qui ont besoin de ce collectif pour ne pas s’effondrer sous les oppressions qu’ielles subissent, et pour que les voix des premier·e·s concerné·e·s soit celles qu’on entend.
Tout cela étant dit, nous tenons cependant à rappeler que 1- nous n’avons ni les moyens, ni l’ambition de tout faire nous-mêmes, et 2- nous sommes heureu·ses·x que ces idées qui nous tiennent à cœur « prennent », se diffusent, soient relayées. Nous sommes de gauche radicale, nous luttons, pour beaucoup d’entre nous, entre autres pour l’élimination du droit de propriété des moyens de production (y compris intellectuelle). Le but n’est pas de faire une sorte de « gate-keeping » en mode « notre précieeeeux », vraiment pas. Juste de rappeler qu’il y a ces enjeux, et d’appeler chacun·e à faire preuve de réflexivité vis-à-vis de cela dans sa démarche.
Car l’objectif n’est pas seulement de permettre à des Zéteticien·ne·s de « penser mieux », comme si notre apport n’était que théorique. Les sujets abordés de manière critique ne sont pas que l’objet d’un jeu de débats et de réflexions hors-sol. Si nous luttons avec parfois tant d’ardeur pour faire reconnaitre les angles morts de camarades qui pensent sincèrement être du côté progressiste, c’est aussi parce que ces points d’aveuglement sont les interstices dans lesquels se glissent les mouvements conservateurs et réactionnaires pour développer leur propre agenda politique (agenda dans lequel les opprimé·e·s n’ont pas de légitimité à l’ouvrir, à se défendre, et parfois même à survivre). Même si c’est parfois au corps défendant des vulgarisateur·ice·s qui leur prêtent plateformes, arguments ou, plus souvent, la tranquille légitimité de « l’opinion comme une autre ».
Pour limiter ces risques de préemption de notre travail tout en maximisant la diffusion de ces idées, la meilleure manière est juste de communiquer. En interne, c’est simplement les relectures et la collaboration, en un mot la concertation, qui permet d’éviter que certains enjeux soient négligés. Si vous le souhaitez, vous pouvez rejoindre notre réseau élargi (cf ci-après), et si tel sujet que vous souhaitez aborder est lié à nos thématiques habituelles, il suffira de nous demander, lorsque vous avez un doute, et avant de vous lancer dans un travail qui consommera votre temps, si c’est un sujet sur lequel nous sommes déjà en train de travailler, ou si c’est un sujet avec des enjeux moindres, et que nous n’avons pas le temps ou les compétences (ça arrive aussi) de traiter (et dans ce cas, nous serons plus qu’heureu·ses·x que ce soit fait en dehors du collectif).
Nous avons trois types d’espaces et il est temps de rendre davantage publique notre organisation. Pour l’occasion, nous avons fait ce joli graphique qui répertorie nos espaces et leurs objectifs. Le collectif lui-même est composé de membres dont certain·e·s produisent des contenus, et d’autres non. Comme précisé, nous ne cooptons que des personnes que nous connaissons déjà. Les contenus relus au sein du collectif ne sont pas tous estampillés « Zet-Ethique Métacritique », loin de là (des producteur·trice·s que vous suivez appartiennent peut-être au collectif sans que vous ne le sachiez), et nos membres n’ont aucune obligation d’afficher leurs contenus comme étant des produits du collectif juste parce qu’ielles sont membres du collectif. En dehors du collectif lui-même, nous avons deux types d’espaces plus ouverts, les espaces du réseau élargi, et les espaces pédagogiques. Si vous êtes « juste curieu·ses·x » (tant que c’est sincèrement curieu·ses·x et que vous reconnaissez l’existence des oppressions), n’hésitez pas à rejoindre nos espaces pédagogiques sur Facebook ou Discord. Si vous pensez comme nous qu’il est absolument nécessaire d’avoir une réflexivité sur les outils et idées qui circulent dans les sphères critiques/rationalistes/sceptiques/zététiques, soit de « faire de la métacritique » (définie ici de manière très très vague et certainement pas définitive), ou que vous souhaitez produire des contenus en bénéficiant vous aussi de l’émulation collective nourrie par la métacritique, vous pouvez demander à rejoindre nos espaces « réseau ». Notez cependant que la gestion de ces espaces (réseaux et pédagogiques) est un peu expérimentale pour le moment: nous ne les affichons pas comme « safe spaces », car nous pensons qu’il n’est pas possible de créer des espaces qui préservent tout le monde. Nous avons par contre choisi de rédiger des chartes qui ne reprennent qu’une partie de la gestion des groupes usuels, et renversent certains principes, que nous considérons être trop en faveur des groupes dominants (par exemple, nous souhaitions qu’il soit possible d’exprimer la colère sur nos groupes, sans en être automatiquement éjecté, et nous souhaitions que les propos polis mais insultants et la violence symbolique puissent être modérés). Il y aura possiblement des tâtonnements, des couacs, des changements, on verra. Nous tâchons déjà d’acter les défauts et d’y trouver des solutions (par exemple nos membres plus virulent·e·s ne seront pas présent·e·s dans tous ces espaces pour préserver les personnes plus sensibles aux heurts), mais n’hésitez pas à nous faire des retours si d’autres aspects vous mettent mal à l’aise.
A bientôt, donc, dans ces espaces.
Le collectif Métacritique.
PS : Zet-éthique était utilisé par un compte Twitter qui ne nous est pas lié, c’est pourquoi nous avions accolé Métacritique pour faire Zet-Ethique Métacritique. Mais c’est le nom du site, pas du collectif (tout le collectif ne signe pas sur le site, et certains ont des productions autres). Nous préférons être désigné soit par ZEM, soit Collectif Métacritique, si c’est trop long de tout mettre.
PPS : Tous les gens qui font de la critique du scepticisme de gauche ne font pas partie du collectif, même certain·e·s avec qui l’on s’entend bien, car chacun·e est libre de faire son chemin. Et même en interne, certain·e·s d’entre nous signent les articles, mais d’autres préfèrent rester discret·e·s. Prière de respecter que tout le monde n’a pas envie d’être associé à celleux d’entre nous qui sommes les plus « publics », parce qu’au delà des idées partagées, chacun·e a ses enjeux individuels. Sur la même idée, celleux d’entre nous qui s’expriment publiquement s’engagent individuellement, mais pour connaître les positions qui font consensus, prière de revenir aux billets collectifs du présent site.
PPPS : Nombreu·se·x sont celleux qui nous demandent quelle est la pertinence stratégique d’une certaine agressivité que certain·e·s d’entre nous peuvent avoir sur les réseaux sociaux. Nous avons tout un processus de réflexivité à ce sujet, certain·e·s ont donné des pistes sur les réseaux sociaux, peut-être ferons nous un billet collectif pour répondre à ces questions. Mais quand nous aurons le temps.
Juste un mot pour vous dire que vous lire est toujours un plaisir : c’est super clair, il n’y a jamais une seule ambiguité, les enjeux sont explicités. C’est super honnête sur tous les plans. Je ne commente quasiment jamais vos articles, car je n’ai rien à y redire ni à apporter. Et en plus, je me prends des claques à chaque fois…
Merci et excellente continuation !
Merci pour l’effort d’explicitation, c’est très clair, très instructif, et ça m’encourage à la prudence.
Une question :
Vous écrivez : « Plus on a de privilèges, moins on a conscience […] des questions de faits accomplis [..] »
C’est plus que probable en ce qui me concerne, puisque je ne comprend pas de quoi il s’agit. Pouvez-vous en dire un tout petit peu plus sur ce que vous entendez pas « questions de fait accomplis » dans cette phrase ?
Un des gros mécanismes de domination consiste dans le fait de penser qu’on sait ce qu’il convient de faire du moment qu’on compte bien faire, que l’on peut déterminer tout seul « ce qui est bien et juste », et de ne pas passer par une étape de concertation avant de « faire ». La concertation est une étape essentielle quand on veut bien faire, sinon on peut faire des conneries parce qu’on a des angles morts liés à nos privilèges. Lorsque la concertation n’a pas lieu, les dominés sont régulièrement mis sur le fait accompli.
Merci pour la réponse, c’est très clair !
Dans un cadre plus général, sur la manière dont le privilège peut entraver l’esprit critique, un des membres du collectif a fait un article très instructif sur son blog personnel.