L'image représente un arbre, avec un bandeau sur lequel est inscrit "Eugenics" (eugénisme). Chaque racine correspond à une discipline scientifique qui serait impliquée dans le développement de l'eugénisme (statistique, biologie, psychologie, généalogie etc...).

Le risque politique de la percée de la génétique comportementale dans la francophonie

Temps de lecture : 4 minutes

La génétique comportementale, cette discipline qui entend étudier les déterminants génétiques de nos traits de personnalité et de comportement, a toujours trouvé grâce aux yeux de nos médias généralistes et même des journaux scientifiques grand public. Elle prend des formes sensationnalistes, en nous vendant la découverte du gène de la schizophrénie, l’héritabilité de l’intelligence et du QI, ou encore les déterminants génétiques d’une personnalité agressive. La popularisation de ces travaux dans les médias grand public occulte régulièrement le caractère très controversé de cette discipline, qui présente effectivement des failles méthodologiques et épistémologiques majeures toujours non résolues en près de 60 ans d’existence. Au-delà des critiques scientifiques, la promotion de ce champ dans l’espace public se fait également en absence de précautions éthiques et politiques, pourtant requises. En effet, la génétique comportementale présente un grand potentiel de dérives, et son historique est teinté de multiples cas de défense du racialisme scientifique et de l’eugénisme. En France, on pouvait jusqu’à très récemment déplorer dans la promotion de ces travaux ce mélange caractéristique de manque de rigueur scientifique et de tendance à l’essentialisme et à la naturalisation des faits sociaux. Cependant, il est à craindre désormais un risque politique plus grand que la simple publication d’articles d’astrologie génétique.

Ces derniers mois, deux ouvrages majeurs de génétique comportementale ont été traduits et publiés en France : La Loterie génétique (The genetic lottery) de la psychologue américaine Kathryn Paige Harden, et L’architecte invisible (Blueprint) du psychologue américain Robert Plomin. Ces ouvrages ont connu à ce jour une réception positive et massive dans les médias anglo-saxons, au grand désarroi de la communauté scientifique des généticiens déplorant une médiatisation outrageante de travaux non seulement controversés sur le plan scientifique, mais également dangereux sur le plan politique. En effet, ces auteurs ont globalement pour ambition de faire de leurs travaux, et plus généralement de la génétique comportementale, un guide orientant les politiques publiques de manière plus « rationnelle » et « efficace », à la lumière des gènes. Selon eux, ne pas tenir compte de l’influence de la génétique dans l’organisation de nos relations et de notre société, cela revient à persister dans l’ignorance et l’inefficience, pour ne pas dire dans l’obscurantisme. Ils envisagent ainsi de révolutionner les sciences sociales au prisme de la prise en compte de la biologie, comme tant d’autres avant eux, et s’insèrent dans le courant plus général de l’evidence-based policy. L’écueil majeur de ces ouvrages réside dans 3 points majeurs : premièrement, la trajectoire socio-historique du champ de la génétique comportementale est systématiquement mise sous silence, ce qui ne permet pas aux lecteurs de situer convenablement la discipline et ses travaux dans la controverse qui les concerne ; deuxièmement, une tendance à caricaturer les critiques scientifiques et politiques en les présentant de manière partielle, décontextualisée, ou tout simplement malhonnête, ne restituant pas rigoureusement les arguments de leurs adversaires et se contentant de répondre à des hommes de paille ; et enfin dernièrement, ces ouvrages comportent des volets purement politiques où les auteurs se permettent de proposer d’éclairer les politiques publiques, notamment éducatives, grâce aux derniers travaux de génétique comportementale de l’éducation. Autrement dit, il s’agit ni plus ni moins que d’un eugénisme rebrandé et respectable, masqué derrière l’affichage d’intentions explicitement progressistes.

Si dans l’anglophonie, les voix critiques vis-à-vis de ces travaux et de cette discipline sont nombreuses, on peine en France à trouver des contenus accessibles critiques de la génétique comportementale et plus largement du déterminisme génétique et biologique. L’enjeu d’enrayer la progression de ces discours est d’autant plus important que nos médias, en particulier les plus conservateurs, s’emparent volontiers de ces discours biodéterministes, les incluant ainsi dans un agenda réactionnaire plus large. Le risque est également augmenté par la présence de personnalités perméables voire promotrices de cette discipline et ses contenus dans les instances décisionnaires de l’éducation nationale. Face à ces enjeux, des membres de notre collectif ainsi que d’autres personnes sensibles à ces questions ont décidé de travailler à proposer ces contenus manquant dans la francophonie, afin de permettre au plus grand nombre de se saisir de ces sujets.

En réponse à la publication de l’ouvrage traduit en français de Kathryn Paige Harden, La loterie génétique, 2 membres de notre collectif ainsi qu’un de nos camarades ont participé à la traduction de la recension critique de ce livre du généticien et biologiste de l’évolution Kevin Bird, traduction parue récemment dans le média de sciences sociales AOC. Cette revue revient sur les bases lacunaires de cet ouvrage sur le plan scientifique, en montrant en quoi l’autrice n’intègre pas les connaissances actuelles en génétique, et soulève ses nombreux problèmes éthiques et politiques, de la présentation caricaturale des critiques de la génétique comportementale, au fourvoiement de l’autrice dans les potentielles applications de cette discipline aux politiques publiques.

Sur la chaîne Le Malin Génie a été récemment publiée une vidéo parlant également de génétique comportementale, présentant les travaux du sociologue des sciences Aaron Panofsky et son livre Misbehaving science. Cette vidéo revient sur le travail de socio-historicisation de la génétique comportementale par Panosfky, qui démontre le caractère controversé de ce champ, le qualifiant de misbehaving science. Elle présente notamment les points clés qui caractérisent cette discipline : ses liens avec le racialisme et l’eugénisme, son manque de lien avec des disciplines scientifiques plus assises institutionnellement, et surtout le comportement de ses acteurs face à toutes ses controverses.

Un article paru l’an dernier sur l’histoire et le présent des sciences raciales est également un contenu complémentaire dont la lecture permet de saisir l’histoire et les liens de la génétique comportementale avec ses controverses politiques, et ainsi de garder à l’esprit le potentiel de dérives de cette discipline si elle persiste dans sa dérégulation.

Nous espérons pouvoir continuer sur cette lancée et vous proposer plus de contenu critique dans les mois qui viennent, ici et ailleurs. Bonne lecture !

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