Avant de conclure cette série, nous souhaitons faire un dernier point, sur une idée très répandue dans les milieux rationalistes, c’est que les émotions et la raison sont antinomiques.
/!\Avertissement: la partie D du présent article contient des références au viol sur mineur. Nous conseillons à celleux de nos lectrices et lecteurs auxquel.le.s de telles références sont susceptibles de provoquer des crises de stress post-traumatique de passer cette partie (« Quand la préférence de la minorité doit primer ») jusqu’à la partie E (« Oui mais quid de l’appel à l’émotion en politique ? »). Il y a également une mention rapide dans la partie F qui synthétise nos propos.
Note : suite au retours critiques, il nous a paru évident que certaines de nos explications manquaient de clarté (par exemple dans ce que nous entendons par « changer le système », et sur notre définition de l’utilitarisme et ses liens avec l’altruisme efficace). Nous avons donc fait un complément explicatif qui se trouve en section commentaire et que nous vous invitons à lire.
A. La vérité qui blesse
Première dimension de l’opposition raison / émotion : la douleur qu’on est sensé ressentir quand on fait face à une vérité 1. Les mensonges, malléables, seraient confortables et doux, tandis que les vérités se reconnaissent à leurs piquants. Petites illustrations :
Cependant, il convient d’interroger cette croyance : est-ce que réellement, la douleur face à un énoncé est un indice de véracité ?
Pour toute question polémique, il y a plus de manières de dire les choses de manière fausse, que de manières de dire les choses en s’approchant du vrai. Parmi toutes ces manières, on trouvera des choses fausses plus confortables que les choses vraies, mais aussi des choses plus inconfortables. En outre, un mensonge (ou une erreur) peut être à la fois plus inconfortable et plus séduisant qu’une vérité: c’est sur cet attrait que fonctionne, par exemple, ce qu’on pourrait désigner sous le vocable de pensée crépusculaire, grand classique du discours réactionnaire: parce que ces contre-vérités sont plus difficiles à admettre que le sens commun, fût-il plus proche de la vérité, celui qui les énonce comme ceux qui les admettent peuvent jouir du frisson (et de l’aura sociale) du libre-penseur au-dessus de la mêlée, à qui on ne la fait pas, contrairement à la (supposée) masse des naïfs.
Donc évacuons tout de suite la question : non, la douleur face à un énoncé n’est pas un indice de véracité. A la limite, on peut supposer par défaut une pénibilité médiane à ce qui s’approche du vrai, ne serait-ce parce que la recherche de vérité demande un effort méthodologique. Mais les choses fausses peuvent aussi être très douloureuses.
Par ailleurs, si le faux peut être aussi et même plus douloureux que le vrai, c’est en particulier le cas sur les sujets sensibles. Revenons sur l’affirmation énoncée dans la capture ci-avant: « si c’est sensible, c’est parce que ça dérange des certitudes » (Eugène H., propos de table, ed. du Poncif, 2020). Cette phrase s’appuie sur une compréhension assez étriquée du concept de sensibilité.
Plutôt que d’en parler abstraitement, prenons un exemple : le sujet du racialisme.
Sujet sensible s’il en est, et qui revient pas à pas dans les sciences mainstream depuis les années 90 (on est encore loin de son hégémonie dans les sciences biologiques d’avant la IIe Guerre Mondiale, mais si on veut éviter de se retrouver dans la même situation dans quelques années c’est maintenant qu’il faut intervenir).
Si on prend au sérieux l’idée que « sensible » signifie nécessairement « dérangeant les certitudes » et rien de plus, alors Richard Lynn (par exemple) est effectivement le héros martyr de la liberté académique que dépeignent fascistes et libéraux. Mais en fait, ce qui fait, pour des gens dotés d’une conscience sociale (et éthique), des travaux de Richard Lynn un « sujet sensible », c’est leur capacité à blesser; et le fait que, conséquemment, cette question doit être traitée avec tact et rigueur (deux choses dont, par ailleurs, Richard Lynn est totalement dépourvu4).
Bref, en deux mots comme en cent: si c’est sensible, c’est pas forcément parce que « ça dérange les certitudes ». C’est surtout parce que c’est un sujet qui peut faire très mal s’il est mal traité.
B. La rationalité, kezako ?
Deuxième dimension de l’opposition raison / émotion, c’est l’idée que de manière générale, les « bonnes décisions » ne peuvent pas être guidées par l’émotion.
Qu’est-ce que la rationalité ? C’est une question à laquelle nous avons moins envie de donner une réponse (surtout que d’autres que nous en parlent déjà5), que d’amener le lecteur à avoir en lui-même un vrai questionnement sur ce que c’est censé représenter… pour réaliser que la question n’est jamais « est-ce rationnel ? » mais toujours « quel est le rationnel ? ». L’enjeu, ici, c’est de comprendre qu’il ne suffit pas de se réclamer de la rationalité pour être la seule personne rationnelle dans une discussion, car tout le monde réfléchit, et tout le monde se considère rationnel.
Peut-être vous dites-vous que mais si, enfin, il n’y a qu’une manière d’être rationnel : « être rationnel, c’est adopter une démarche qui permet de faire les meilleurs choix ». Certains diront « un choix basé sur la logique6, et pas sur les émotions ». Mais si je me promène dans la savane, et qu’il y a un bruit derrière un buisson, est-il rationnel de vaincre sa peur qu’il s’agisse d’un lion et d’aller voir ce qui est derrière, plutôt que d’écouter sa peur et de prendre ses jambes à son cou ? Est-ce rationnel de refuser la direction indiquée par la peur et d’aller à l’inverse de ce qu’elle dicte, au prétexte que « la peur est irrationnelle », surtout ? Est-ce rationnel de prendre le temps de penser au-delà des sentiments dans les situations d’urgence ?
De l’analyse des risques
A ce stade, nous allons devoir faire un peu de théorie d’analyse des risques. Pour cela, rappelons la différence entre danger d’une part, et risque de l’autre. Le danger, ce sont les dommages possibles quand on est exposé à quelque chose. Par exemple le danger de mort face au coronavirus est estimé à environ 2%. Il s’agit d’une moyenne, en réalité le danger varie d’une personne à une autre, selon des facteurs individuels (age, immunité, etc.). Le risque, c’est le danger multiplié par l’exposition au danger. Par exemple, si l’exposition au coronavirus à Pétaouchnok est de 30% (30% des personnes seront tôt ou tard infectées), le risque moyen est de 2% de 30% soit 0.6% de mourir du virus si on vit à Pétaouchnok.
Il convient de rappeler que ces probabilités ne sont pas fixes 7, elles évoluent avec l’information dont on dispose… elles ne représentent donc aucune « réalité physique ». Par exemple, si je prends Robert qui vit à Pétaouchnok, soit il va vivre, et a posteriori on dira toujours que la probabilité qu’il avait de vivre était de 1, et celle qu’il avait de mourir était zéro. La probabilité de 0.6% calculé ci avant, elle, est statistique : c’est une moyenne sur une population, et en réalité, on peut calculer des risques différents pour différentes catégories de la population si on dispose de plus d’informations. Par exemple, on peut savoir que le danger pour les personnes de plus de 80 ans est de 15% et le risque, pour ces personnes, est alors 15% de 30%, soit 4,5% (en supposant que pour cette catégorie de la population, l’exposition soit strictement identique à celle de la population générale de Pétaouchnok).
Plus nous disposons d’informations sur les variables qui déterminent le fait qu’on va vivre ou mourir, plus on pourra s’approcher de la probabilité de 0 ou 1 pour chaque personne prise individuellement. Moins on dispose d’information, plus on sera proche de 0,5 pour chaque personne prise individuellement. Encore une fois, ces probabilités ne représentent que notre incertitude à connaitre l’issue du danger. Elles ne représentent rien d’autre, et en tous cas, rien de « physiquement palpable ». Il est important de comprendre cela dans la mesure ou on entend régulièrement que « légens sont irrationnels car ils ont mal estimé la VRAIE probabilité ». Il n’y a pas de VRAIE probabilité, il n’y a que des probabilités plus ou moins informées. Si on estime le risque pour individu spécifique, une probabilité estimée proche de 0 ou de 1 est très informée, une probabilité estimée proche de 0.5 est peu informée.
Donc, revenons à la question. Est-ce rationnel de prendre le temps de penser au-delà des sentiments dans les situations d’urgence ? Ça dépend toujours des risques et des bénéfices estimés au temps t, en réalité. Le risque de mourir si on se retrouve face à un lion est grand. Alors on s’accordera assez facilement sur le fait que non, prendre ses jambes à son cou n’est pas irrationnel. Mais paradoxalement, on entends souvent de la part des détracteurs du principe de précaution que certaines précautions qui ont été prises lors de l’évènement X ou Y étaient irrationnelles, parce qu’il ne s’est rien passé finalement. Pour rappel, une fois l’évènement passé, la probabilité qu’il ait eu lieu est de 0 ou 1. On ne peut pas juste requalifier la rationalité des choix qui ont été fait en situation d’incertitude comme si faire un pari sur le fait qu’il ne se passerait rien était équivalent à savoir, qu’il ne se passerait rien.
D’autres diront que ce qui est irrationnel, ce n’est pas vraiment de s’être trompé sur l’issue, mais c’est de surestimer les risques, et de sous-estimer les bénéfices, justement. Ou de mal estimer leurs probabilités. Par exemple, et toujours à propos du coronavirus, Gérald Bronner passant dans l’émission de télévision de Yann Barthès: il y avance que les gens ne sont pas rationnels car ils surestiment la probabilité des risques nouveaux. On l’a vu, il n’y a pas de « vraie » probabilité, uniquement des probabilités plus ou moins informées. Il y a donc déjà un problème à dire cela. Mais à la limite, on se dit, « ah oui ok, il compare aux risques estimés par les scientifiques, estimés à partir de données bien plus complètes, donc en fait par irrationnel, là il veut dire moins informé». Mais le problème est le suivant : avec quoi les experts de la rationalité comme Bronner estiment-t-il la manière dont il est pertinent de balancer les risques et bénéfices… si ce n’est avec leur propre rationalité ? Typiquement, on peut en fait opposer un argument à cette conception selon laquelle surestimer le risque serait irrationnel. Par définition, un risque nouveau correspond à un degré d’incertitude plus fort pour tout le monde, y compris les experts, à la fois sur la probabilité d’occurrence, mais également sur les conséquences du risque. Est-il vraiment moins rationnel, quand l’incertitude est plus forte, de placer son estimation du risque dans la fourchette haute plutôt que la fourchette basse ? Peut-être que je surestime la probabilité que le lion me tue. Mais ça ne coûte pas grand-chose de prendre mes jambes à mon cou. Donc sur le principe 8 : bien sûr que non, ce n’est pas nécessairement irrationnel. Mieux vaut des dizaines de fois où on a pris ses jambes à son cou pour rien parce qu’on a surestimé le risque, qu’une seule fois où on le sous-estime et on se fait bouffer par le lion. Ainsi, pour le cas spécifique du coronavirus on pourrait très bien attirer l’attention sur les effets de bord négatifs possible de certaines mesures de précaution, sans pour autant dire que sur-estimer le risque est mauvais juste parce que… on surestime le risque, donc c’est mauvais (cas d’école de raisonnement circulaire) 9. La simple balance des coûts et des bénéfices et la connaissance la plus informée disponible concernant leurs probabilités ne suffit pas à définir ce qui est « rationnel ».
C. Tyrannie de la quantité
Cela nous amène à la troisième et dernière dimension de l’opposition raison / émotion que nous voulions traiter. Nous avons largement développé, dans la partie 4 de la série, la manière dont le choix rationnel d’une personne A n’est pas le choix rationnel d’une personne B, tout simplement parce que les coûts et bénéfices pour la personne A, donc ses préférences, ne sont pas ceux de la personne B.
De la même manière, dans l’exemple de la section précédente : si pour un Gérald Bronner jeune et en bonne santé, le coronavirus ne représente un risque que modéré, on estime que sans mesures à la hauteur des enjeux, 40 à 70% des personnes l’attraperaient, et les 1 à 2% des contaminés les plus fragiles vont y passer. Sans mesures pour enrayer l’épidémie, la probabilité d’y passer serait donc pour ces plus fragiles de 5 à 10%. Plus difficile, pour ces derniers, d’entendre qu’on ne va pas tout faire pour sauver leurs vies. Il n’est pas du tout irrationnel, depuis leur perspective, de tout faire pour sauver leur peau (et en l’absence de traitements, ça passe par se protéger des contaminations).
Ces derniers temps, l’éthique utilitariste (dont la version la plus en vogue consiste à vouloir maximiser le bonheur), parce qu’elle a une dimension quantitative (par exemple on compte le nombre de vies sauvées par le choix 1 versus le choix 2) et que les chiffres « font » rationnels, tend à devenir l’éthique favorite dans les milieux sceptiques (et de cela découle par ailleurs une adhésion de plus en plus forte, dans le milieu, à l’altruisme efficace, nous devrons y revenir dans un prochain article) 10. Cette mode en arrive à un tel point qu’on en vient à définir comme rationnel ce que l’éthique utilitariste défini comme étant « le bien », et à traiter comme irrationnelle toute proposition qui serait différente de ce qu’elle préconise, comme si les questions éthiques elles-mêmes n’étaient plus des questions de valeurs, mais de la pure logique comptable. C’est ainsi qu’on en arrive à définir ce qui va bénéficier le plus à la majorité, donc ce qui forme la préférence de la majorité, comme étant (prétendument) ce qui est «juste » en termes de « bien commun ». Vous voyez en quoi c’est, en réalité, injuste ? S’il y a conflit de préférences, les minorités11 ont perdu d’avance. Elles n’ont même plus droit au chapitre pour défendre les leurs, de préférences.
Pour mieux comprendre toutes les dimensions du problème, prenons un exemple. Imaginez un enfant né sourd et aveugle, qui a besoin d’une personne à plein temps à ses côtés pour avoir une vie normale. La somme qui pourrait financer cette personne pourrait également servir au bonheur de 10’000 enfants qui ont besoin d’un appareil dentaire pour être « beaux » et socialement intégrés, pour ne pas subir le rejet social. Dans une logique purement comptable, 10’000 contre un…. est-ce réglé? Certains diront qu’on doit pondérer par la taille des coûts et bénéfices, mais réfléchissons un instant aux implicites derrière leurs estimations.
Commençons par les coûts. Dans une optique sociale (altruisme efficace, etc.), les coûts envisagés ici sont les coûts économiques. Or, les coût économiques sont actuellement fixés par la loi de l’offre et de la demande et la propriété privée des moyens de production. Ils ne sont, dans ces calculs, à aucun moment envisagés autrement, par exemple, ils ne sont pas envisagés comme temps de travail social nécessaire à la production du service. Entre autres conséquences, tous ces calculs excluent d’emblée toute solution radicale qui remettrait en cause le mode de production capitaliste et l’organisation sociale du travail: toutes les solutions sont envisagées uniquement dans un système où on les ‘achète’, et jamais comme modification du système lui-même. Pour bien comprendre, rappelez vous de ce médicament contre la toxoplasmose important pour les patients atteints du SIDA, passé de 13,50 à 750 dollars, soit une augmentation de 5450%, en une nuit. Vous disposez de 750 dollars à donner en charité… allez-vous accepter de juste vous poser la question de les donner à un patient ou de faire bénéficier un enfant d’une orthodontie? Non, vous allez adopter une 3e option : dépenser cet argent pour lancer un mouvement pour racheter le médicament et rétablir un prix décent, ou en tous cas militer pour que le soin ne soit pas rendu inaccessible par la loi du marché. Et bien si le raisonnement est rendu évident par cet exemple, il s’applique en fait à tous les prix fixés par la loi du marché. Car tous sont injustes, et ce qui serait éthique, ce serait d’abord que tous les médicaments ne « coutent » que le travail nécessaire à leur production, sans prélèvement d’une marge. Ce qui serait éthique également, c’est qu’au lieu d’avoir des personnes au chômage parce que le travail aussi est régulé par l’offre et la demande (on regarde ce que ça coute et on voit si on est prêt à le payer), on pense l’organisation sociale en partant des besoins sociétaux et en répartissant le travail pour que ces besoins soient remplis. Auquel cas on n’aurait plus besoin de choisir entre des soins dentaires et une aide à la l’enfant sourd et aveugle. Partir des besoins et mettre les moyens12, plutôt que partir des moyens et trier les besoins.
Les bénéfices, quant à eux ne sont pas vraiment estimables en termes quantitatifs. Certains s’imaginent probablement qu’ils ‘savent bien » ce que « ça doit faire », de vivre ceci ou cela, et ce que ça pourrait changer, de bénéficier de telle ou telle aide. Mais ils se trompent, et ils n’ont pas de moyens de s’en rendre compte en comparant ce qu’ils s’imaginent qui est et ce qui est 13, car on parle de bien être et d’augmentation du bien-être ici, et ce sont des ressentis incommunicables, ou qualia 14. On peut cependant tenter de se projeter, les apprécier un peu, subjectivement et qualitativement (x conduirait à une augmentation de bien être plus importante que y), et ce grâce à notre empathie (n’en déplaise à DirtyBiology dans sa vidéo « Réparer une émotion », liké à notre grand désarroi par plus de 5’000 personnes en quelques heures). En utilisant cette appréciation subjective du bien-être et une analyse qualitative, on aura envie de dire que le problème de l’enfant aveugle et sourd est quand même un peu plus important, et par analyse contextuelle également qualitative, on pourra par ailleurs entrevoir que les problèmes de dents des 10’000 enfants qui ont besoin d’un appareil peut possiblement trouver une autre solution moins onéreuse (une lutte pour une acceptation sociale des dents tordues), alors que l’enfant sourd et aveugle n’a, pour sa part, pas d’autre solution qui s’offre à lui.
Ainsi, selon la logique comptable de l’éthique utilitariste, on pourrait se retrouver dans des cas de figure où « l’enfant sourd et aveugle passe après ». ¨Mais non, pensez-vous sans doute, car « on est pas si cons quand même ». Attention… c’est un exercice de pensée : cet exemple est choisi pour faciliter la perception du problème, mais tachez de transposer la logique à une application générale de l’utilitarisme qui ignorerait que d’autres cas sont plus complexes, et se passerait d’une analyse qualitative, et du passage par une concertation avec les concernés et un travail d’empathie… l’important ici, c’est de comprendre l’argument . C’est uniquement grâce au qualitatif, à une analyse contextuelle et à notre empathie (notre capacité à se projeter dans les émotions et ressentis des autres) qu’on est en mesure de percevoir qu’en fait, mettre les moyens dans les 10’000 appareils dentaires n’est pas du tout évidemment plus juste que de les mettre dans une personne à plein temps pour l’enfant aveugle et sourd.
Les personnes issues des minorités (que ce soit en nombre ou en représentation politique) sont déjà celles qui, de base, voient le plus souvent leurs « préférences » et leurs « intérêts » relégués aux oubliettes. Le bien commun qui serait le bien telle que le perçoit la majorité (comprendre, ceux qui ont la main sur les décisions du fait des rapports de domination), a tout le potentiel pour devenir la justification de la domination du futur.
D. Quand la préférence de la minorité doit primer
Nous réitérons notre avertissement de début d’article: il va être question – assez longuement – de viol sur mineur, si une telle chose est susceptible de réveiller en vous un stress post-traumatique, ne vous infligez pas ça et passez directement à la partie suivante.
Imaginez que vous fassiez partie d’une minorité. N’importe laquelle, juste une chose pour laquelle vous vous sentez minoritaire. Imaginez que vous discutiez avec quelqu’un et que cette personne affirme que quelque chose est « bon », de manière péremptoire, comme si cela était universel et indiscutable. Ni vous ni l’autre personne n’a mis le doigt sur la source de vos désaccords, encore, mais vous sentez au fond de vous que c’est évidemment faux, que cette chose n’est pas « bonne » de manière certaine et absolue, la preuve, vous ressentez que vous, vous ne préférez pas cette chose, elle vous rebute : elle n’est pas bonne au moins pour vous. Il y a des chances que, cherchant les arguments factuels qui sont à la source de vos désaccords et n’en trouvant pas, vous allez vous énerver. Alors que vous avez raison sur un point : cette chose n’est pas bonne de manière « universelle » puisqu’elle ne l’est pas au moins pour vous.
Typiquement, en février, Franck Ramus postait un billet à propos des réactions scandalisées vis-à-vis des propos de Françoise Dolto, qui portaient sur le prétendu désir sexuel des enfants victimes d’abus. Il estimait que « la plupart des commentateurs, emportés par l’émotion, raisonnent sur le mode ‘’c’est tellement scandaleux et immoral que c’est ridicule et nécessairement faux’’ » [Alors que] « ce qu’a dit Dolto pourrait être vrai. Il pourrait être vrai que les enfants dont elle parle ont véritablement eu des désirs sexuels pour des adultes, et les ont séduits activement, et ont ‘’pris leur pied’’ au cours de relations sexuelles avec ces adultes. ». Il est clair que Franck Ramus n’a pas compris les motivations profondes du scandale, ici.
Déjà, mettons un instant l’aspect moral pour évacuer l’aspect factuel : de nombreuses personnes, victimes d’inceste et de viol, savent déjà (connaissance empirique liée à leur vécu) que le viol et l’inceste ne découlent pas d’un désir des enfants pour les adultes. De nombreuses victimes témoignent de la violence du viol dans l’enfance et de l’inceste, et personne ne témoigne de la violence d’avoir été privé de rapports sexuels avec leur parent alors qu’ils étaient enfants. Et ça, ce sont des données : on ne part pas de rien. Ainsi, quand il affirme « La rigueur et la neutralité scientifique imposent de considérer les affirmations de Dolto comme des hypothèses, qui pourraient être justes comme elles pourraient être fausses », il fait comme si ces données n’étaient pas disponibles, et ne suffisaient pas à ce qu’on n’en soit largement plus au stade d’hypothèses de probabilités équivalentes. Donc : c’est nécessairement faux, oui, pas parce que c’est scandaleux et immoral 15, mais parce que les données le montrent déjà !
Maintenant, c’est aussi scandaleux et immoral de tenir de tels propos. Mais contrairement à ce qu’il semble croire, le scandale ne porte pas tant sur le fait de juger que ces hypothèses pourraient être vraies ou fausses (c’est d’autant plus scandaleux que c’est faux, en fait, le fait que ce soit faux n’est qu’un multiplicateur ici). Le scandale porte sur une préférence implicite qu’il a mais qu’il ne voit clairement pas comme étant une préférence qui lui est propre, puisqu’il met les pieds totalement dans le plat quand il dit « Et si elles étaient justes, quand bien même ces idées nous paraîtraient scandaleuses et leurs conséquences nous effraieraient, alors il faudrait bien en tenir compte, à la fois pour notre compréhension de la psychologie humaine, pour nos jugements moraux, et pour les décisions de justice. ». Sa préférence serait qu’on tienne compte de la véracité des propos de Dolto pour savoir s’il est moral ou non, juste ou non, de condamner les auteurs de viols d’enfants et d’incestes. Or du point de vue des victimes, même s’il s’avérait que des enfants aient désiré des adultes, ça ne change rien : il faut interdire tous les rapports entre adultes et enfants, car au moins une part d’entre eux (et mettons-nous bien d’accord, ici nous accordons un crédit exorbitant au discours de Franck Ramus, uniquement pour les besoins de la démonstration ; la réalité est qu’un rapport aussi asymétrique ne peut pas résulter d’un consentement éclairé16) ne sont pas en état d’être consentis (dont ceux dont ils ont été victimes) du fait du rapport de domination propre à la relation enfant-adulte, et que les conséquences que ça a sur eux représentent un coût beaucoup trop élevé pour laisser quelque flexibilité que ce soit à ce sujet.
Lorsque les commentateurs disent « c’est scandaleux, c’est faux », il manque à Franck Ramus tous les liens logiques qui permettent de comprendre ce qu’ils veulent dire. Il lui manque à la fois les données empiriques (tant mieux pour lui) que sont le fait d’avoir été victime sans avoir désiré l’adulte, et sans doute par un manque de proximité avec les milieux militants ou avec les données disponibles en sciences humaines, il lui manque l’accès à tous les témoignages sur le sujet. Mais il lui manque aussi de mettre le doigt sur le fait que ce qui les scandalise, c’est moins le fait que ce soit faux que le fait que la personne qui défend la possibilité même que ce soit vrai a en tête, pour implicite, qu’il faudrait en tenir compte pour juger de ce qui est moralement et légalement acceptable.
C’est un cas de figure où le tort infligé à une minorité est d’une telle ampleur si on fait le choix A (ici, normaliser le rapport d’un adulte avec un enfant) plutôt que B (ici, moraliser toute possibilité de rapport entre un adulte et un enfant), qu’il suffit qu’une seule personne se signale comme étant de cette minorité pour valider le choix B plutôt que le choix A. Le « meilleur choix », le choix éthique, n’est pas le choix qui remporte la majorité des préférences 17.
Clairement, l’éthique à adopter ne peut pas être définie seulement en fonction de ce qui augmente le plus le confort ou bien être au total. On devrait pouvoir donner un surplus de bonheur moindre à une personne plutôt qu’une somme plus grande à plein de personnes si ça lui permet de se rapprocher de la moyenne dont les autres sont déjà proches alors qu’elle était plus loin, ou si ça lui permet de ne pas s’en éloigner. Augmenter ou perdre un peu en bien être quand on est dans une moyenne de bien être acceptable n’est PAS équivalent à augmenter ou perdre en bien être quand on est très en dessous de la moyenne de bien être acceptable18. On doit pouvoir minimiser les inégalités d’accès au bonheur, en fait. Et ce n’est plus du tout le même critère que maximiser le bonheur, qui est celui que se fixe la version la plus courante de l’éthique utilitariste. Au delà d’une définition limitante des coûts, et de l’impossibilité de réellement estimer les bénéfices, de son incapacité à envisager des solutions en dehors de celles qui sont mises en regard l’une de l’autre, l’éthique utilitariste oblitère en fait toute la question des inégalités de bien-être en se concentrant uniquement sur les variations sans prendre en compte le contexte dans lequel elles s’opèrent, ce qui est extrêmement problématique.
E. Oui mais quid de l’appel à l’émotion en politique ?
Suite à tous ces développements sur le fait que l’émotion ne s’oppose pas à la raison, voir lui est nécessaire, peut-être aurez vous cette objection à faire : « mais les émotions sont utilisées pour manipuler les gens, n’est-ce pas? ».Certes, un appel à l’émotion a un fort potentiel pour remporter l’adhésion – c’est un principe rhétorique connu. Certes, en appeler aux émotions de l’auditoire ne doit pas se substituer à des arguments plus ancrés dans la démonstration logique et/ou factuelle. Mais est-ce suffisant pour disqualifier les appels à l’émotion? Si vous répondez « oui » à cette question, vous devriez garder à l’esprit que pour faire une tarte, il faut de la farine. Essayez de bouffer de la farine seule. Ouaip, c’est imbouffable. Pour la rhétorique, et notamment la mobilisation rhétorique des émotions, c’est comme pour la farine dans la tarte: oui, tout seul, c’est dégueulasse; n’allez pas en conclure que le problème, c’est la farine elle-même. Un appel aux émotions n’est un paralogisme que quand il se substitue aux arguments logiques et factuels; dans les autres cas, non seulement ce n’est pas un paralogisme, mais l’appel aux émotions peut être lui-même vecteur d’information pour aider à la décision: si vous ressentez de la tristesse à l’évocation du sort d’un réfugié, c’est que vous avez, un peu, touché du doigt sa douleur. Votre tristesse vous informe (un peu) de cette douleur, de l’impact que sa situation a sur sa vie19.
Et ne pas en appeler à votre capacité d’empathie pour ce réfugié est tout aussi manipulatoire que se contenter d’en appeler à ladite capacité d’empathie. Ne pas mobiliser les émotions rend plus supportable d’ignorer la douleur des autres pour préférer des solutions plus égoïstes – et il n’est pas dur de les rationaliser: oui mais et le coût économique de les accueillir, hein? C’est très rationnel, après tout, de se refuser à les aider: un coût, ça se chiffre, et le chiffre, c’est du solide. Un argument se présentant comme purement rationnel et dépourvu d’émotion peut être tout aussi manipulatoire qu’un argument purement émotionnel.
Par ailleurs, lorsque les émotions (comme par ailleurs, en fait, toutes les fallacies rhétoriques) peuvent être utilisées pour manipuler, le problème n’est pas la configuration des cerveaux mais la manière dont en face l’interlocuteur cherche à manipuler, tromper. La tromperie est conçue pour utiliser la manière dont l’esprit fonctionne: cette manière est un donné, et le manipulateur, s’il est compétent, peut l’exploiter aussi aisément qu’on pourrait se déplacer dans un labyrinthe avec un plan et un GPS. Le labyrinthe pourrait être aussi bien conçu que possible, connaître sa configuration le rendra de toute façon inefficace. C’est une règle basique de stratégie: l’avantage est à l’offensive, pas à la défense; si l’on veut aider les personnes à se prémunir contre les manipulations, il faut mettre le projecteur sur la tromperie, pas le trompé. Pour bien comprendre, regardez comme on procède pour détromper d’un tour de magie : on n’explique pas tant la manière dont le cerveau se trompe, que le truc du magicien pour le tromper.
Pour se prémunir des manipulations émotionnelles, il conviendra donc de comprendre les diverses utilisations qui peuvent ou non être faites des émotions dans un argumentaire , plutôt que de rejeter tout argument au seul prétexte qu’il est exprimé avec émotion.
F. Émotion versus rationalité, la synthèse
Nous avons vu que le fait qu’une chose soit rationnelle ou non découle forcément des préférences des individus. Or, ces préférences, elles sont nécessairement émotionnelles. Les émotions sont donc en fait intimement liée à la rationalité, et le fait de qualifier comme étant « davantage rationnel » les options qui, dans une logique comptable, ne correspondent en réalité qu’à la préférence d’une majorité, doit être discuté. Dans un débat, l’émotion (colère, peur) naît pratiquement toujours de la négation de préférences et de l’incompréhension du fait que ces préférences ne soient pas connues de tous. Il y a incompréhension totale face au manque d’intelligence émotionnelle de la part des personnes dont la rationalité se veut froide – car elles associent froideur des émotions et raison – mais qui les conduit en réalité à négliger toute une partie du problème : le fait que d’autres aient des préférences différentes des leurs. Typiquement : les victimes d’abus ne comprennent pas (et faites un effort, ça n’est pas bien difficile de comprendre pourquoi elles ne comprennent pas) que les « rationalistes dépassionnés » semblent ignorer à ce point ce qui s’impose à elles en tant que victimes (à la fois les données qui infirment les affirmations de Dolto, et le fait que peu importe les données sur les désirs putatifs d’enfants, en fait, avoir des relations avec un enfant quand on est un adulte, c’est mal). Le fait que l’interlocuteur ne « voit » pas l’évidence sera d’autant plus violent que le problème a eu des conséquences graves sur la victime, en fait, donc d’autant plus violent… qu’elle a raison (de penser que les implicites de l’interlocuteur ayant une rationalité froide auront des conséquences graves pour de potentielles futures victimes, donc par exemple que les relations enfant-adulte, c’est mal). Il faut aussi garder en tête qu’il est extrêmement déstabilisant d’avoir à expliquer ce qui relève de l’évidence (il m’est plus difficile d’expliquer pourquoi 2+2=4, que d’expliquer le principe d’une analyse de variance, à quelqu’un qui ne le comprend pas du premier coup).
Quelles leçons pratiques tirer de tout cela ? Dans un argumentaire, il convient de distinguer les arguments factuels et les arguments de préférence, y compris les arguments de préférence morale. Le fait que l’argumentaire auquel vous faites face semble teinté d’émotion, faillible ou illogique n’implique pas du tout que vous ayez d’avantage raison, mais plutôt qu’il y a probablement en jeu des prémisses implicites (en termes de connaissances des faits ET de préférences) qu’il va falloir expliciter. Bien distinguer les arguments factuels des arguments de préférences nécessite une intelligence émotionnelle (qui permette d’envisager que les autres aient des préférences différentes de celles que l’on a soi-même). La capacité à comprendre les émotions (voir à faire preuve d’empathie émotionnelle, à se projeter dans les émotions d’autrui) n’est pas une barrière, mais une aide précieuse, lorsque l’on mène des débats difficiles. Il convient d’entendre l’émotion, et de commencer par creuser pour comprendre de quelles différences de préférences elles naissent, pour débroussailler la discussion et permettre ensuite d’établir un consensus sur ce qui est vrai ou non de manière conditionnelle aux préférences (rappel de la partie 4 : il ne faut pas approcher du soleil SI on ne veut pas mourir).
Attention /!\, on voit venir les bougres : la conditionnalité doit émerger de l’échange. Il serait fallacieux de penser que untel est contre les OGMs parce qu’il préfère voir les enfants pauvres mourir de famine, juste parce que c’est tout ce que vous avez réussi envisager vous comme hypothèse.
En bref, plus d’intelligence émotionnelle et d’empathie, de meilleurs débats et de meilleurs choix en perspective. Et non, une bonne fois pour toute, il n’est pas plus rationnel de mettre ses émotions de côté quand il est justement question d’émotions que de réclamer des sources à quelqu’un qui parle de son vécu quand il est justement question de son vécu.
Merci à Arnauld, Liliane, John, Marlon Sidore, et les autres amis et relecteurs pour les coups de mains et inspirations!
× Les gens pensent mal : le mal du siècle ? Partie 1/6 : Critique du concept de biais cognitif
× Les gens pensent mal : le mal du siècle ? Partie 2/6 : Premier cas pratique, les « biais cognitifs » des médecins et les soins aux patients
× Les gens pensent mal : le mal du siècle ? Partie 3/6 : Second cas pratique, le fanatisme religieux et les biais cognitifs
× Les gens pensent mal : le mal du siècle ? Partie 4/6 : La réduction aux biais cognitifs ; une approche politiquement située à droite
× Les gens pensent mal : le mal du siècle ? Partie 5/6 : Les émotions et la rationalité
× Les gens pensent mal : le mal du siècle ? Partie 6/6 : Synthèse – Contre la technocratie
Notes:
- On peut s’interroger sur l’influence exercée sur cette idée par une incompréhension du concept de dissonance cognitive. D’après Wikipédia en français, « en psychologie sociale, la dissonance cognitive est la tension interne propre au système de pensées, croyances, émotions et attitudes (cognitions) d’une personne lorsque plusieurs d’entre elles entrent en contradiction l’une avec l’autre. » Le concept n’a pas le moindre rapport avec l’idée que la vérité serait difficile à admettre (deux idées fausses mais incompatibles sont tout aussi capables d’induire la dissonance cognitive), et par ailleurs, la DC ne se produit que lorsque les deux idées (ou l’idée et le comportement) font partie de l’idéologie (au sens psychologique) du sujet, ce qui n’est pratiquement jamais le cas dans les débats où l’argument ‘la vérité fait mal’ est invoqué. Au mieux, le rejet d’une idée qui rentrerait en contradiction, par exemple, avec les valeurs d’un sujet sont au contraire un moyen d’éviter la dissonance cognitive.
- On passe rapidement sur le fait d’opposer la vérité au mensonge plutôt qu’à l’erreur, ce qui ne reflète que partiellement le concept de vérité.
- On reconnait dans cette logique un paralogisme formel du type « affirmation du conséquent » : si A implique B on déduit, faussement que B doit impliquer A. En réalité, de la première affirmation (la vérité peut faire mal), on devrait plutôt conclure qu’il faut réfléchir pour savoir si toute vérité est bonne à dire. Un point de départ à la réflexion, c’est que si le bénéfice attendu n’est pas supérieur aux coûts attendus, on doit se taire. A noter, il revient aux personnes qui peuvent subir les coûts (donc sont en mesure de les estimer) de décider si les bénéfices dépassent les coûts pour fixer « la maxime sur laquelle régler son action », comme disait Kant.
- Ajoutons, quoique ce ne soit pas la question ici, que Richard Lynn, tout comme ses émules, sont mus par un agenda politique raciste et eugéniste et inventent à la volée une science capable de les justifier. Si vous avez un problème avec le lyssenkisme, ce qui est logique, mais pas avec les productions théoriques du Pioneer Fund, c’est qu’en définitive vous n’avez pas un problème avec les fameuses « pseudosciences », mais juste avec le communisme.
- Au-delà des rêveries boudonniennes de l’individualisme méthodologique telles qu’elles sont exposées, par exemple, dans cette vidéo de Tranxen, rêveries qui n’emportent que notre mépris, la critique de la notion de rationalité traverse la pensée philosophique et sociale depuis Weber, et au-delà dans l’Ecole de Franckfort, jusque Honnet. Voir par exemple ce cours en vidéo sur la critique de la rationalité dite instrumentale, à laquelle on ne peut pas réduire le concept de rationalité.
- Où « logique » est utilisé dans une acception ambigûe, située entre son sens commun et le sens mathématique. A propos lire The logic fetishists
- D’ailleurs, la valeur de ces probabilités à pu évoluer entre la publication de cet article et le moment où vous le lisez.
- En mettant de côté les effets annexes de la panique (prise de mesures qui ont des effets négatifs en feedback)
- Nous ferons plus tard un article sur le principe de précaution et la perception des risques, mais en gros, pour être en mesure d’éviter les gros problèmes, les scandales sanitaires, les fausses alertes sont nécessaires. Pour utiliser le vocabulaire dédié au diagnostic : Les faux-négatifs sont généralement bien plus coûteux que les faux-positifs, et il faut des outils de diagnostic ayant une forte sensibilité, aux dépens, certes, de la spécificité, pour éviter au maximum les faux-négatifs.
- Le lendemain de l’écriture de cette phrase, DirtyBiology a d’ailleurs publié une vidéo qui incarne parfaitement cette tendance dans les milieux rationalistes, mais Science4all est un des prédicateurs les plus actifs de la chose dans le milieu, avec une défense de l’utilitarisme poussée à son paroxysme, comme on peut le voir par exemple dans ses interventions dans les vidéos de Grain de Philo
- En tant que nombre et en tant que groupe dont les intérêts ne sont pas défendus, mais cela sera explicité au cours de l’argumentaire qui suit.
- Si on estime le coût en quantité de travail nécessaire à la production, y compris la production des matières premières, avec une perspective marxiste, alors sachant le nombre de personnes sans emploi, on sait d’emblée que l’on dispose des « moyens » nécessaires.
- Il est possible de s’en rendre compte quand on subit les effets de ce déni, par contre. Plus généralement quand on appartient à une minorité dont les ressentis et préférences ne servent pas à définir ce que doit être le monde, donc quand il y a un décalage entre ce que l’on préfère et ce qui est fait par ceux qui pensent « bien faire’.
- Qualia : Propriété de la perception, c’est-à-dire ce qui est ressenti par une personne. Les qualia ne sont connus que par intuition directe et ne peuvent donc pas être communiqués.
- Un argument assez commun des scientistes, sur les questions marquées à droite voire à l’extrême-droite, comme les sciences de la race et du QI, les différences « biologiques » (c’est-à-dire, dans un langage plus précis, génétiques) entre hommes et femmes, etc. est, sous une forme ou sous une autre, que ce n’est pas parce que c’est immoral que c’est faux. Déjà, ce qui devrait inquiéter les sceptiques qui ne sont pas de droite, c’est que c’est un argument qui vient de la droite dure (le propagandiste racialiste Stefan Molyneux aime d’ailleurs présenter ses délires racistes vaguement scientifisés comme la vérité la plus difficile qui lui ait été donné de digérer) ; mais perdus dans le mythe du « il faut écouter les arguments et pas d’où ils viennent », c’est une inquiétude à laquelle même les sceptiques de gauche sont hélas trop souvent immunisés. Ce qui leur parlera sans doute plus, c’est qu’il est assez curieux d’accepter un tel argument, qui est du point de vue de la forme strictement identique à l’argument théiste le plus courant, ce n’est pas parce qu’on ne peut pas prouver l’existence de D.ieu qu’il n’existe pas. Face à un théiste, le sceptique sait dégainer son rasoir de Hitchens, et trancher dans le vif. Ce qui est affirmé sans preuves peut être refusé sans preuves, pif pouf problème réglé (que le Rasoir de Hitchens soit, en réalité, une réponse de brute, est un autre débat). En revanche, face à un discours sexiste, par exemple, comme mettons, les ratiocinations d’une Peggy Sastre, ou un discours raciste et pétri de mépris de classe comme les rêveries eugénistes d’un Charles Murray (cf article, à venir, sur The Bell Curve, ses sources idéologiques, ses buts, sa supposée scientificité, et son traitement, dans les colonnes de « Science et Pseudo-sciences », par Nicolas Gauvrit. Le lien sera rajouté aussi sur le présent article), il est pourtant assez commun que l’argument soit accepté tel quel. Il faut dire aussi qu’il est nourri par un mythe constitutif de l’idéologie de profession du scientifique : les sciences comme cassant les mythes et les croyances pour les remplacer par la Vérité.
- Et nous insistons sur éclairé. Cet adjectif n’est pas juste décoratif, et si vous ignorez la différence entre consentement et consentement éclairé, vous êtes au sexe ce qu’un conducteur qui n’a pas validé son code de la route est à la conduite. Nota : en fouillant pour donner une référence, nous avons remarqué qu’il manque cruellement de ressources sur les raisons pour lesquelles le consentement des mineurs ne peut être éclairé. Cela découle probablement du sentiment d’évidence pour toute personne décente, et aussi, hélas, des lacunes abyssales du droit français sur cette question… mais étant donné la polémique décrite dans l’article, il semble que des personnes aient besoin qu’on leur explique. Si un-e de nos lecteurices compétents sur le sujet se met à la tâche, qu’iel n’hésite pas à nous donner le lien pour qu’on le mette ici. En attendant, le visionnage de ce témoignage, sur Mediapart, de l’actrice Adèle Hanaël, sur ce qu’elle a subi à 15 ans, permet de mieux cerner cette problématique.
- Cette situation éthique se retrouve dans de nombreuses situations sociales, du harcèlement de rue (même si de nombreuses femmes aimaient se faire draguer lourdement dans la rue, le fait que certaines expriment ce que ça leur coûte de le subir suffit à rendre ce comportement non éthique) à la question d’avoir des rapports sexuels avec une personne qui dit non (au prétexte que certaines autres personnes disent « non » parce que ça augmente leur désir, mais voudraient en réalité dire « oui » – même si c’était vrai, même si c’était souvent vrai, de trop nombreuses femmes ont témoigné avoir été violée à cause de cette certitude que leur « non » voudraient dire « oui » pour qu’il soit éthique de poursuivre ce type de pratique sans avoir d’abord une discussion sérieuse avec sa partenaire et sans mettre en place au minimum les règles de sécurité élémentaires du BDSM – car être excité par le viol, c’est du BDSM). On peut imaginer d’autres cas de figure, comme les blagues qui font rire plein de copains mais en blessent profondément d’autres (si une blague est ultra blessante pour une seule personne, elle est dispensable). Cela s’applique également à de nombreux choix de santé où on doit choisir entre sauver ou aider une seule personne qui a un gros problème et plein de personnes qui ont de petits problèmes (exemple de l’enfant aveugle et sourd). La liste pourrait être infinie.
- De la même manière que 5€ n’ont pas la même valeur quand on est riche ou quand on est pauvre, une variation ∆ de bien être n’a pas la même valeur quand on va bien ou quand on va très mal. C’est en partie ce qui nous gène avec l’exercice de pensée du donneur d’organe : 5 personnes peuvent être sauvées par un don d’organe et une personne saine est compatible avec ces 5 personnes, pourquoi cela nous met-il aussi mal à l’aise d’envisager de sacrifier sa vie pour les cinq autres? Et bien parce qu’on l’éloigne d’un coup de la moyenne… alors qu’on perçoit jusqu’à la dernière minute que les cinq personnes ne sont *pas encore* mortes et encore sauvables (donc à chaque instant t, leur « bien-être » n’est pas modifié tant qu’on agit pas), et qu’un bus pourrait s’encastrer dans un mur et donner cinq autres donneurs compatibles, nous offrant une solution tierce. On n’est pas certains qu’ils vont mourir tant qu’ils ne sont pas morts, tandis qu’on est certains que le donneur sacrifié sera mort une fois sacrifié. On est réticent parce qu’on cherche en fait une solution autre, qui soit moins inégalitaire. Même si ces objections sont implicites à notre esprit, elles sont bel et bien ce qui nous rend, et c’est en fait tout à fait logique, finalement, aussi réticents à sacrifier le donneur.
- Il faut bien comprendre une chose: la rhétorique est l’art de convaincre, mais c’est un art qui est neutre au regard de la vérité de l’idée qu’on essaie de faire passer. En rhétorique, l’appel à l’émotion n’est pas du tout illégitime – ce qui la justifie ou non est justement la qualité de l’idée qu’on veut véhiculer. Cette vidéo du Nerdwriter l’illustre assez bien, en analysant la manière dont Bernie Sanders répond à une question, et en mettant en regard cette analyse avec une analyse précédente de la méthode Trump. Les deux partagent un don pour véhiculer un sentiment à travers leur discours; mais une chose les différencie nettement. L’appareil discursif de Trump substitue l’émotion à la raison, celui de Sanders renforce l’argument rationnel en le liant à l’émotion.
En parlant d’utilitarisme et de minorité, il existe justement une branche du conséquentialisme appellé « Prioritarisme » qui propose de rendre heureux avant tout les individus les plus défavorisés. Et c’est une morale particulièrement appréciée de la gauche, mais est moins bien connue que « l’altruisme efficace ».
https://fr.wikipedia.org/wiki/Prioritarisme
https://rationalwiki.org/wiki/Prioritarianism
Très intéressant, merci!
Notez que nous sommes tous deux critiques, mais pas hostiles aux philosophies conséquentialistes; ce que nous pensons de l’utilitarisme n’est bien entendu pas extensible à l’ensemble des expression du conséquentialisme, dont nous avons tous deux bien conscience qu’elles sont aussi variées (sinon plus, étant plus à la mode elles sont plus travaillées) que les formes de déontologisme. A titre personnel je pense que si une solution devait être trouvée ce serait un hybride, ou plus probablement (mais tant que ça n’est pas fait, il est impossible de savoir ni à quoi cela ressemblerait, ni même si c’est possible) un dépassement de l’opposition entre déontologisme et conséquentialisme. Pour ce que j’en sais c’est d’ailleurs vers ces deux options que tendent souvent les formes contemporaines de la philosophie éthique…
Merci de votre réponse.
Pour ma part, mon idée de l’éthique mélange épicurisme, utilitarisme, prioritarisme, contractualisme et anti-capitalisme.
En bref, je considère qu’il faut surtout donner à la population, c’est le bien-être et la confiance entre les gens.
Concernant l’altruisme efficace, je suis pour qu’on recherche la meilleur manière d’aider, mais par contre je considère que toutes causes, si elles permettents d’améliorer le monde, sont équivalantes et sont utiles même si elles ont un champs d’actions limités. Pour moi, il n’y a pas de différences entre protêger des enfants africain du paludisme et améliorer la condition de vie des personnes âgés en France.
De plus, je me méfie de cette vision du bonheur comme si c’était une sorte de PIB qu’il faut augmenter le plus possible comme un chiffre d’affaires.
Et enfin, je consière qu’il faut évitez de créer des groupes privilégiés selon certains critères « rationelles ».
Pour le coup on parle de biais ici. Une des difficultés de compréhension entre militants est de connaître les présupposés des autres militants. Typiquement, les militants productivistes vont considérer que la population humaine va ou doit croître et qu’il faut produire de plus en plus, en ayant recours à une énergie abondante (nucléaire) et en mettant les écosystèmes sous stéroïdes (pesticides), tandis que les militants écolos vont parier sur une baisse de la production et des besoins. Pour les militants productivistes, difficile d’imaginer que l.agriculture devrait produire moins, ou qu’une énergie peu émettrice au kw/h ne soit pas vertueuse si sa disponibilité incite à la gaspiller
En vous lisant on peut avoir l’impression qu’il y a une grosse différence d’approche entre l’altruisme efficace (AE) et votre propre approche, mais les différents points précis que vous évoqués dans vos articles ne permettent pas vraiment de mettre le doigt sur ce qui distingue les deux.
L’approche d’inspiration marxiste que vous semblez défendre, par exemple, est souvent considérée comme pleinement compatible, en principe, avec l’AE (voir par exemple cet article de Kissel https://commons.pacificu.edu/work/dda436db-f87f-42db-8678-bc3506902785)
Par ailleurs, les points précis que vous évoquez plus en détail ne semblent pas permettre de distinguer clairement votre approche de celle de l’AE. Pour ne prendre que quelques exemples :
– la manière dont l’utilitarisme ne prend pas assez en compte la répartition des préjudices et des bénéfices (l’exemple de l’enfant sourd et aveugle vs les 10 000 enfants). Il s’agit en effet d’une critique assez courante contre l’utilitarisme et il existe plusieurs manières de la surmonter : il suffit de surpondérer les intérêts des personnes les plus démunies (le prioritarisme déjà évoqué) ou bien de valoriser en soi l’égalité. Ce sont des solutions qui sont communément acceptées dans le mouvement de l’AE.
– la négligence des institutions et du système capitaliste : si on pense qu’il s’agit du meilleur moyen d’avoir le plus grand impact positif, la théorie utilitariste ou les principes de l’AE pourraient nous amener à chercher à renverser des institutions ou le système capitaliste. Il n’y a aucune contradiction ici (voir par exemple l’article de Berkey https://philpapers.org/rec/BERTIC-3)
– les difficultés pour connaître avec précision le bien-être d’autrui : c’est un problème général auquel toute personne qui souhaite aider d’autres personnes est confrontée. Il se pourrait que l’utilisation de l’empathie ou d’une analyse contextuelle pourrait être le meilleur moyen de le résoudre, comme vous semblez le penser, auquel cas une personne qui se réclame de l’utilitarisme ou de l’AE serait très contente de l’utiliser (ça lui faciliterait la tâche de comprendre comment ses actions affectent les autres!). Mais là encore il n’y a pas d’opposition de principe.
Au final, je me demande où réside précisément votre désaccord avec l’AE. J’imagine que vous êtes d’accord qu’il faut essayer de faire le plus pour améliorer le monde, et qu’il faut le faire d’une manière impartiale, sans négliger les intérêts de quiconque, c’est-à-dire sans faire de discrimination selon le genre, la race, la nationalité, etc. Si vous n’êtes pas d’accord avec ces principes, alors effectivement il y a un désaccord évident.
Si vous êtes d’accord avec ces principes, en revanche, le désaccord devient plus superficiel : peut-être y a-t-il un désaccord sur quelles actions ont le meilleur impact possible ? Mais dans ce cas, c’est un désaccord qui n’est plus vraiment plus éthique, alors que votre texte laisse au contraire entendre qu’il y aurait une sorte de gouffre incommensurable entre votre positionnement éthique et celui de l’approche AE. Il s’agit plutôt d’un désaccord factuel, très complexe certes, mais autour duquel on peut sans doute débattre de manière fructueuse, notamment en utilisant les outils de la zététique !
Bonjour,
Etant donné que nous avons eu plusieurs retours dans le sens du votre, nous avons fait une réponse globale, qui vise à repréciser les points où les divergences nous semblent indépassables, cf commentaire ci dessous.
Cependant, je souhaite répondre sur les articles donnés en lien : il ne suffit pas de montrer les points de convergence, pour réconcilier les approches. Il ne suffit pas non plus de donner des exemples de choix qui convergent, pour montrer qu’elles sont compatibles. Le fait que circonstanciellement l’éthique utilitariste s’aligne avec les intérêts des minorités ne signifie pas qu’elle ne puisse pas être utilisé à leur encontre dans de nombreux autres cas. Nous avons donné des exemples où ça pourrait ne pas être le cas (notamment avec la question des morts acceptables, on ne peut nier que c’est une problématique on ne peut plus d’actualité, et qui va réellement léser les minorités non valides. Nous avons d’ailleurs proposé une alternative prioritariste à cet endroit du billet : prioriser les personnes dont le risque de mourir est le plus grand pour réduire l’inégalité de létalité… mais cela conduirait dans cet exemple précis à une mortalité globale plus importante (en termes mathématiques, il s’agit de diminuer la variance, mais cela a également pour effet de diminuer le paramètre de tendance centrale).
Je serais curieuse de savoir si les personnes en bonne santé y adhèrent, en toute rationalité, parce qu’elles adhèrent *sur le principe* à l’idée qu’il faut donner priorité à ceux qui sont des les situations les plus critiques, ou si elles considèrent que non quand même, dans cette situation « c’est évidemment plus rationnel de sauver plus de gens ».
C’est là qu’on voit en fait la limite d’être d’accord sur les principes : ça ne dit rien sur la manière dont on va leur donner priorité au cas par cas, quand plusieurs principes nobles vont entrer en conflit (ici maximiser le nombre de vies sauvées, versus maximiser l’égalité dans les chances de survie).
Pour aller plus loin, cet autre article vient d’être publié sur le présent site : https://zet-ethique.fr/2020/05/06/faut-il-relancer-leconomie-en-tuant-des-personnes
J’ajoute ceci (je suis globalement en accord avec les points soulevés par Ce n’est qu’une théorie, je ne vais pas la paraphraser): l’article illustrant selon vous le caractère « pleinement compatible » de l’AE avec une perspective communiste nous a été fourni aussi, dans un but très similaire (mais moins ambitieux, quand même… « pleinement »?) en exemple par un membre éminent de Altruisme Efficace France. Je dois vous dire que c’est quand même un très mauvais choix pour illustrer une compatibilité « pleine », et que l’article, et c’est à son honneur, est dès son titre bien moins ambitieux, qui parle de tentative de réconciliation. Au-delà de ce qui tient certes en partie de la précaution oratoire, beaucoup de critiques (par ailleurs bien exposées, souvent) sont évacuées très rapidement, par une pirouette (je passe pour ne pas titiller mon mauvais caractère sur le fait d’invoquer Popper pour évoquer sans développer les limites de la scientificité de la démarche marxiste). Et la « réconciliation » se fait selon des termes qui ne peuvent nous satisfaire. Le point 5, « Effective Altruist Objections to Anti-Capitalism », se termine par un appel aux anticapitalistes de l’EA à faire passer leur anticapitalisme au second plan, sous peine de se voir considéré comme « dogmatiques ». Le point 6, « Anti-Capitalist and Political Objections to Effective Altruism », lui-même divisé en plusieurs sous-points, se termine régulièrement à un appel aux anticapitalistes de l’EA à… ne rien changer, sur la base d’une démonstration de compatibilité théorique parfois assez fragile (je suis par ailleurs personnellement estomaqué qu’un article prétendant réconcilier gauchisme et EA présente, pour le défendre, les critiques sur « l’individualisme méthodologique » et la « portée limitée » de l’éthique d’un Singer, comme étant « supposés ». L’individualisme méthodologique de Singer ne fait pas question; et surtout, je rappelle qu’on est ici dans un chapitre visant à donner les critiques anticapitalistes de l’EA; euphémiser ainsi les positions de Steiner, dont les convictions libérales sont hors de doute, est un camouflet. Si l’EA devait se réconcilier avec les communistes, une des conditions nécessaires *et minimales* serait de virer cet ectoplasme et l’envoyer faire ailleurs ses petites provocations de connard). Bref, pour reprendre la fin de la réponse de Ce n’est qu’une théorie, ce qui est dit ici sur la manière dont on doit prioriser dans ce cas précis les objectifs qu’on cherche à concilier est assez peu ambigüe: cette « réconciliation » finalement, ce n’est rien moins qu’une intégration des gauchistes à l’EA, sans vraiment remettre quoique ce soit en cause de l’EA, tout en admettant (et encore heureux) qu’il existe des tendances dans l’EA qui ne correspondent pas à des méthodes gauchistes. On a certes conservé la possibilité d’un accord sur les principes éthiques généraux entre gauchistes dans et hors de l’EA, mais c’est bien peu.
[EDIT je réitère, pour que ce soit le plus explicite possible, que la bonne volonté de l’auteur de l’article, non plus que celle de ceux qui nous l’ont fourni, n’est en cause à aucun moment. La démarche de tenter de faire correspondre deux idées fortes auxquelles on tient est une démarche légitime et qu’il y parvienne ou non, louable. Le fait qu’à sa lecture j’en conclus qu’il n’y parvient pas n’est pas une condamnation personnelle]
Addendum
Nous avons reçu un certain nombre de retours critiques à propos de nos critiques de l’utilitarisme, et de l’altruisme efficace. Ces retours justifient la rédaction du présent commentaire, qui vise à éclaircir un certain nombre de points qui à l’évidence manquaient de clarté, dans nos propos (ou étaient peut-être trop cachés dans les notes pour que les nuances soient accessibles, nous vous invitons à les lire) :
1- Il est clair à notre esprit que le recouvrement entre l’utilitarisme et altruisme efficace n’est pas total, et qu’il est possible de faire un altruisme efficace non utilitariste, au moins en théorie. Cependant, nous avons bel et bien des critiques à faire aux deux, à la fois à l’utilitarisme, et à l’altruisme efficace.
2- Pour comprendre nos critiques, il faut bien comprendre que ce qui nous intéresse, ce sont les usages. Ainsi, les arguments du type « tel courant minoritaire de l’AE ne fait pas comme ça » ou « ah oui mais y a deux personnes qui ont tenté de dépasser ce problème, d’ailleurs y a cet article qui peut en témoigner » loupe le fait que notre objectif est de critiquer des usages que nous avons identifiés comme assez délétères ET répandus pour être combattus. Nous en avons donné des exemples très concrets, dans notre billet. A cela, il est bien légitime de répondre que la tentative de dépassement existe. Mais l’article donné en lien (regardez le titre) montre finalement bien qu’elle n’a rien d’une évidence simple, et ne fait que prouver à nos yeux, qu’alimenter ce débat et le porter dans la sphère publique est nécessaire.
3- Pour ce qui est de notre critique de l’AE, *hors utilitarisme* : une des personnes qui nous a répondu, à titre personnel, mais qui est salarié de Altruisme Efficace France, à défini l’altruisme efficace comme :
Le cœur de notre critique de l’AE porte sur le fait de se limiter à considérer cette « ressource donnée », et à ne pas envisager les conditions structurelles qui conditionnent le fait qu’on soit limité à cette « ressource donnée ». Ainsi, dans sa réponse, il spécifie que notre critique selon laquelle l’AE ne viserait à pas « changer le système » est injuste, car il est possible, au sein de l’AE, de se mobiliser pour des changements du type « pousser vers un élevage non industrialisé ». Cependant, le sens du mot « changer le système » n’est pas le même, entre sa vision et la nôtre. Il y a deux manières de changer un système : le réformer, et le remplacer. L’AE dans ses fondements, est au mieux réformiste. Considérer que la philanthropie est une option valide pour résoudre les problèmes, alors que la capitalisation nécessaire à ce système de philanthropie (gagner pour donner) en elle-même est une des sources du problème, c’est indépassable, pour l’AE telle que définie ci-avant. Et mettons-nous bien d’accord sur ce que nous disons ici : nous sommes bien conscients qu’il existe des voix dissonantes au sein de l’Altruisme efficace, notamment, quelques gauchistes parvenus à l’AE par les écrits de Steiner, qui jouit d’une réputation usurpée due à son statut de Père Fondateur de l’antispécisme. De fait, ceux-ci insistent parfois sur l’absence d’opposition de principe entre communisme et altruisme efficace. Le problème cependant, c’est qu’en l’absence de guerre déclarée (non, le mot n’est pas trop fort, la réconciliation est à ce prix entre AE et communisme) contre les tendances de l’AE justifiant le profit légitime (le « gagner pour donner ») et misant sur la philanthropie, ils sont condamnés à leur corps défendant à une position de caution gauchiste dans le mouvement – dans ce cadre, et en dépit d’une bonne volonté des gauchistes de l’AE que nous ne mettons pas en cause (ce n’est pas un problème personnel, mais structurel dont nous parlons), l’AE agit sur le monde comme une force d’autant plus conservatrice qu’elle est intégrative : elle aboutit ici, au mieux, à une réconciliation entre gauchistes et philanthropes. Nous constatons aussi qu’un altruisme efficace gauchiste qui rentrerait en guerre ouverte contre la philanthropie bourgeoise serait finalement peu distinguable (si on excepte le rapport à l’expertise, ce qui n’est pas rien, voir ci-après) d’une conception matérialiste de l’histoire, comme disait Marx, et ne justifierait plus vraiment un qualificatif spécifique. Ou alors, on pourrait redéfinir l’AE comme étant le fait de se demander (via l’analyse de données empiriques, mais pas seulement) quelles sont les mesures qui ont en fin de compte le plus d’impact en fonction d’un système moral donné, mais permettez-nous de nous réclamer aussi de la recherche d’efficacité, sans pour autant nous réclamer de l’altruisme efficace. Une telle définition serait tellement vague qu’elle pourrait s’appliquer à tout courant visant à avoir un impact sur le monde (vous êtes certainement certain d’y ajouter une dimension rationnelle, mais c’est justement ce que nous abordons dans notre partie numéro 6 sur l’expertise : rationaliser d’avantage, ce n’est pas rendre plus rationnel).
4- Pour ce qui est de notre critique de l’utilitarisme *hors altruisme efficace*. Nous avons entendu de manière récurrente que personne ne tient de positions aussi purement comptables. Le graphique que l’on a partagé, à propos des malades acceptables, résulte sans aucune équivoque possible d’un raisonnement utilitariste purement comptable. Cette position utilitariste, elle n’est donc pas « juste » tenue, elle est appliquée, elle est normalisée, même. Elle est appliquée de la même manière, en ces temps d’actualité, lorsqu’on se demande si l’effondrement économique ne va pas léser plus de personnes qu’il ne va en sauver, etc. Regardez l’actualité un peu plus attentivement, vous verrez assez vite. Par ailleurs, nous sommes bien conscients (et ceci, nous avons de fait échoué à l’éclaircir dans nos articles) qu’il existe des formes d’utilitarisme différentes, et toutes ne relèvent pas de notre critique (par exemple, un utilitarisme négatif à la John Stuart Mill, qui vise non à maximiser l’utilité mais à minimiser le malheur est plus proche de ce que nous défendons – constatons tout de même que dans l’utilitarisme Mill fait figure d’exception).
5- Pour ce qui est de la critique de l’AE quand il fait de l’utilitarisme. La personne précitée nous a répondu que l’AE n’est pas purement comptable et quantitatif, car « lorsque les aspirants altruistes efficaces parlent de “ressources” celles-ci sont systématiquement envisagées dans leur globalité : argent certes, mais aussi temps, compétences, réputation, capital social etc. Un coût important à prendre en compte est également le coût de renoncement, ou coût d’opportunité. ». Seulement, quand on parle de temps, compétences, réputation, capital social, etc, et bien dans le système capitaliste actuel, l’ensemble de ces choses sont convertibles en coûts économiques en réalité. Par exemple, mon temps vaut environ 18€ brut de l’heure (cette valeur traduit d’ailleurs mes compétences, ma réputation, et mon capital social). Donc, en réalité, même si un altruiste efficace investit 1h de son temps ici, c’est un temps qu’il ne passe pas à gagner ce que son temps vaut en salaire, c’est un manque à gagner, il investit bien un capital économique. Nous, nous raisonnons en termes marxistes. Hors système capitaliste, nous ne sommes plus limité par la valeur. Mon temps ne représente plus 18 euros de l’heure, il ne représente plus que lui-même, mon bien être est déjà pris en charge par la société, celui des chômeurs, des inactifs, etc, aussi, et toute personne dispose de tout son temps pour répondre à tous les besoins identifiables, nous ne sommes plus limités par les transactions économiques ou la nécessité de gagner nos vies qui font qu’une heure investie en charité n’est plus une heure à gagner sa vie (donc un manque à gagner), non, la limitation de l’humanité à répondre aux besoin de l’humanité ne repose plus que sur le temps dont disposent tous ces humains pour y répondre (les ressources matérielles étant elles aussi convertibles en temps pour les trouver/ extraire / produire). Si la démarche de l’AE consiste à « essayer de comprendre comment utiliser les ressources de la manière la plus efficace possible avec une unité de ressources donnée », moi j’ai envie de répondre : c’est le cœur de notre critique. C’est raisonner en ressources limitées dans le système capitaliste, alors qu’une immense partie de la limitation vient du fait qu’une grande partie de la population est rendue inactive par le fait que dans le système capitaliste, elle n’a pas accès aux moyens de production, et que c’est de très loin la plus grande limitation à l’autonomie, à l’autosuffisance, et à l’entraide.
Au-delà de cela, la dimension quantitative ne concerne pas que ce qui est investi, mais les manières de mesurer l’impact / quels critères et quelles données sont sélectionnées pour mesurer l’impact. Ce qui est intéressant, c’est que dans l’échange, tous les exemples qui nous ont été donné pour dire que « quand même, regardez l’impact » étaient effectivement quantitatifs (par exemple, diminution de la pauvreté, mais calculée uniquement comme revenu monétaire, là où en réalité cette donnée dit bien peu de choses sur la précarité réelle, on le sait quand comme moi on vit dans un pays pauvre). A la limite, les DALYS (estimation de l’impact en termes d’années de vie en bonne santé) sont le moins pire outil quantitatif. Mais il serait temps de se demander pourquoi ce ne sont pas ces données là (les DALYs) qui sont présentées par Pinker ou les autres personnes faisant l’apologie du « Progrès » depuis les lumières, dans leurs analyses ? Je pense que ça mérite d’être posé, comme question. (petit edit: il y a là une possible ambigüité que je voudrais clarifier. Nous parlons ici des apologues du Progrès™ à la Pinker, pas de l’Altruisme Efficace. Certains auteurs de cette mouvance se servent des DALYs, sans trop en questionner les limites souvent, mais comme nous le disions c’est déjà mieux que rien.)
La dernière critique à laquelle il nous semble important de répondre, c’est vis-à-vis de notre acidité, quand nous fustigeons les CSP+, et le fait que nous semblons ignorer la bonne volonté de ces personnes, qui au moins, quand même, tentent quelque chose, ce qui est toujours mieux que rien. Et que oui, c’est vrai, la plupart des AE appartiennent aux classes CSP+, mais qu’il y a un effort pour diversifier, et que le reprocher serait du coup manquer de charité interprétative. Là-dessus, il y a une méprise qui est sans doute de notre fait. Nous ne doutons pas de la bonne volonté et des bonnes intentions, nous n’en avons jamais douté. Mais les bonnes intentions, ça ne suffit pas. Et ce n’est pas « ne rien faire », ce que nous proposons comme alternative. Les pauvres, en réalité on sait ce qu’ils veulent : disposer des moyens de production, la réduction des inégalités, une vie décente, de l’agentivité (et sur ce dernier point, il n’est pas inutile de rappeler que « la libération des classes laborieuse ne pourra être faite que par les classes laborieuse elles-mêmes ». Comme dans tout rapport de domination, amis CSP+, aider revient souvent à s’effacer). L’AE, ce n’est pas vers ça, que ça lutte. Ça lutte pour que l’argent de la philanthropie soit mieux utilisé. Ça lutte en tout cas pour trouver le meilleur moyen de venir en aide, ce qui est une option dont la légitimité ne va pas toujours de soi. Vous n’allez pas réussir à diversifier, tout simplement parce que c’est évident, pour les pauvres, que cette stratégie ne répond pas au fondement du problème. Et les pauvres, ils ont le droit, de se mettre en colère, quand on leur dit que quand même, oui, on a le pouvoir de décider et qu’on le garde, mais que ce serait injuste de le reprocher, car ça reste pour leur bien. Certains nous accusent de mettre tous les problèmes sur le dos du capitalisme. C’est l’occasion de prouver que c’est faux, nous accusons aussi, par exemple, le paternalisme. Nous pensons que le vrai problème, aussi inconscient soit-il, c’est qu’il y a un conflit d’intérêt indépassable, lorsque l’on est parmi ceux qui ont de l’argent à donner en charité : la véritable meilleure solution, elle est et sera toujours… à notre profond désavantage. Et c’est ce qui fait qu’elle n’a aucune chance d’être adoptée par le biais d’aussi bien intentionnés soient-ils altruistes efficaces.
Félicitation pour le blogue, de très très grande qualité. Article intéressant et challengeant.
« à cette question, vous devriez garder à l’esprit que pour faire une tarte, il faut de la farine. Essayez de bouffer de la farine seule. »
Il y a je pense dans cette métaphore une chose problématique, et dans ce texte plus généralement. C’est l’idée que la rhétorique est une technique « abstraite » comme une recette de cuisine qui n’aurait pas besoin de connaître le goût et les mœurs de tables.
C’est une vision assez individualiste et abstraites de l’empathie, et que certains pensent pouvoir manier comme s’ils étaient des démiurges (un peu comme les technocrates ont des tendances démiurgiques lorsqu’ils veulent dépolitiser tout débat). Je sais bien que telle n’est pas votre intention, mais si vous me permettez de pousser le trait, je dirais qu’on sent ici presque une sorte de modélisation mathématique à partir d’individus (émotico-)rationnel à la façon économie néoclassique.
On finit par oublier ici encore les sciences sociales, et la façon dont les émotions sont construites et non de purs produits bio-chimiques quantifiables produits par les corps humains. Untel parlait de « communauté des affections », je ne sais pas si c’était pour dire cela mais il me semble que les affections et les passions ont leur propres vies car elles existent aussi « en résonance » dans l’espace social où elles s’expriment, elles se configurent dans des rapports sociaux, parfois dans des espaces extrêmement concrets (la place de grève, l’arène des commentaires Youtube, la tribune, twitter etc). Sans doute des sociologues pourraient en dire plus.
C’est précisément ce qui fait la richesse et l’importance des SHS pour les émotions, et qui ne peuvent être réduites à des études ou des modélisations sur des comportements biologiques, de nous montrer ses dépendances et ses déterminismes. Et entre autres, cette dynamique de groupe. (Ne me voyez pas venir, je n’argue pas qu’il faut revenir à Gustave Le Bon, mais qu’il faut reconnaître les déterminismes émotionnels)
Je sais pertinemment que vous serez le premier à accepter que l’émotion est « sociale » mais dans ce cas il faut aller jusqu’au bout, et admettre que partant, elle n’est pas modélisable à merci ou tout aussi facilement. Admettre que vous ne pouvez pas la dompter aussi facilement.
Donc tout ce discours sur la possibilité d’avoir un discours rationnel et émotionnel est vrai uniquement théoriquement. Vous ajoutez l’émotion comme si c’était un attribut simple ou le possible sujet « objectif » d’une conversation. En pratique, l’émotion n’existe pas en dehors des cadres qui la portent : l’empathie n’est jamais une pure sensation de homo affetatus, c’est un ensemble de réactions sociaux-psychiques, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’on ne la manie pas facilement. Cette phrase « manipuler les émotions », si on y pense bien, fait sourire. C’est plutôt souvent l’inverse qui est vrai on est manipulé par ses émotions.
En revanche la raison, le raisonnement, le calcul formel, sont – au moins tant que demeure la bonne foi et la maîtrise – choses plus objectives, en particulier car elles sont plus *transparentes*. Relativement, cela va sans dire (car dit comme ça sans caveat appellera sur moi toute la critique qui voudra déniaiser le naturaliste et le repolitiser. Evidemment que la rationalité n’est pas souvent neutre. Evidemment que beaucoup de valeurs se logent derrière ces postures de neutralité axiologiques.
Mais voilà pour moi l’objection véritable et qui donne raison à ceux qui se méfient de l’émotion. Rien de mieux qu’un exemple :
Tant qu’un criminel récidiviste ne pourra traverser la foule sans craindre de se faire lyncher (évidemment dans l’hypothèse ou le système de justice l’attend de l’autre côté de la place), le débat rationnel ne peut pas avoir lieu pour cette foule. Mais qui serions-nous pour nous permettre de penser que nous contrôlerions l’émotion ? Que nous ne jetterions pas le premier crachat ? Personne ne peut le garantir, et c’est cela qui est si moche dans l’émotion, par ailleurs si indispensable et si importante pour notre tarte comme vous disiez (l’humanité). C’est que vous ne pouvez JAMAIS vous assurer qu’elle va dans le bon sens, l’émotion ce n’est pas ployable à coup de modélisation multi agents, c’est le bordel. Un peu comme la littérature (beurk) qui use de termes fleuris, de pamphlétaires, un peu comme je finis par faire ici. Et ça finit toujours dans l’excès. Et c’est sale (et surtout nul), et surtout ça produira un effet indomptable : certains aimeront (faudrait quand même être fou et aimer les lourdeurs) d’autres pas. D’autres pires encore, pourraient « s’exciter » (verbe chargé d’émotion et très méprisant je m’excuse de l’utiliser, c’est juste pour montrer ce qu’on fait tous…)
Bref, croire qu’on peut à la fois refuser la démiurgie du technocrate et jouer avec une autre démiurgade, encore plus obscure et opaque ça me semble vraiment dangereux.
Formulé autrement et faisant suite à d’autres débats related, la « bienveillance » est en effet une arnaque si elle recouvre une fausse neutralité, mais la pire arnaque qui soit pour soi et pour les autres, c’est toujours l’émotion (l’agressivité, le ton pamphlétaires, les adjectifs, l’indignation etc) car elle est SERVILE par définition. Tant qu’on verra des personnes ayant des vraies valeurs d’émancipation (disons-le franchement : des personnes de gauche) se laisser séduire par ce genre de ton à la Bloy, se laisser extremiser par le style d’indignation, se tartiner d’empathie en pensant qu’elles ont le contrôle, the point of the centristes-technocrates will always be valid.
Et je crois que c’est là l’obstacle majeur à la réconciliation des affects et de la raison.
Pardons pour ces inepties [rajouter quelques marqueurs d’incertitudes]
Hmm. Si je résume :
– le rapport raison / émotion c’est bien beau mais c’est pas que de la théorie ;
– les émotions ça empêche de raisonner ;
– le style pamphlétaire c’est se soumettre à ces émotions qui sont par définition serviles (parce que… c’est comme ça) ;
– on ne gagnera pas la bataille contre les centro-technocrates sans accepter leurs conditions du débat.
C’est bien ça?
J’ajoute: vous réussissez le tour de force de répondre à notre thèse sans vous confronter à aucun de nos arguments. Sans surprise, votre message retombe du coup dans la caricature d’un faux-dilemme: raison, ou émotion? Je me retrouve dans la position inconfortable d’avoir à réécrire le même article pour vous répondre, puisque c’est contre la position que vous défendez que nous avons fondé notre argumentation (tout y est, jusqu’à la balourdise de présenter le calcul comme « chose plus objective »); qui pis est, à partir d’un message qui dissimule d’autant plus mal son hostilité qu’il se laisse même aller jusqu’à l’insulte (j’y reviendrai en fin de réponse).
Case in point: vous citez un passage (unique) de l’article qui utilise la métaphore de la recette de cuisine en faisant un parallèle basé sur l’idée de la nécessité d’assumer un mélange entre raison et émotion (je dis « de l’assumer » parce que ce mélange est inévitable, en dépit de la fiction, à laquelle vous tenez tant, d’une séparation) dans tout raisonnement, mais ça ne vous arrête pas pour répondre uniquement comme si nous avions argué de la légitimité d’une substitution de la raison par l’émotion. Dans l’extrait cité, « la farine » c’est l’émotion. Nous sommes précisément en train de dire que l’émotion seule est, pour reprendre le qualificatif de l’extrait, « imbouffable ».
Quand vous vous inquiétez que « croire qu’on peut à la fois refuser la démiurgie du technocrate et jouer avec une autre démiurgade » puisse être dangereux, on est au cœur de ce faux-dilemme. Nous rejetons « la démiurgie du technocrate » sans rejeter les vertus de l’expertise; nous en appelons à la prise en compte des émotions, là où les émotions sont légitimes, sans en appeler à se laisser guider simplement par elles. C’est ironique, que ce soit vous qui veniez nous trouver « abstraits ».
Là-dessus, vous alignez les poncifs habituels sur la servilité que d’après vous induit toujours l’émotion.
Concernant la « manipulation des émotions », vous passez (comme pour le reste) à un bon kilomètre de l’argument. La rhétorique, comme art du discours et méthode pour remporter l’adhésion, a réfléchi aux méthodes pour reporter l’adhésion, notamment (et pas exclusivement) en faisant appel aux émotions de l’auditoire (c’est vrai depuis au moins Cicéron; cf. l’article sur les « fauxphismes »). Vous n’avez fait que réagir à des mots-clés, confit dans votre conviction que l’émotion est mauvaise, et répondez à côté que c’est elle qui *nous* manipule. C’est d’autant plus frustrant que c’est un passage qui vous donne (certes très partiellement) raison: il est possible à un rhéteur expert de remporter une adhésion indue de son auditoire en s’appuyant sur le seul appel à l’émotion.
Concernant vos réflexions sur la foule vengeresse, c’est un poncif forgé sur la base d’un pur mépris de classe; les historiens qui se sont sérieusement penché sur la question ont, en revanche, vite découvert que la fréquentation des exécutions en place publique était motivée non par un désir de vengeance, mais par le spectacle d’une rédemption – il n’y était pas rare de voir la foule entonner gravement des hymnes, parfois à la demande du supplicié; ou que les émeutes n’étaient pas le fait de foules aveugles.
Concernant le style pamphlétaire, vous ne l’aimez pas, c’est votre droit. Mais il faudrait plus que quelques vagues considérations abstraites pour nous justifier par exemple, la mauvaise qualité argumentative de, mettons, Les Chiens de Garde de Paul Nizan, ou L’idéologie allemande de Karl Marx.
Contrairement à ce que vous avancez, les émotions ne sont pas un frein à la réflexion. Votre message m’a mis en colère, ça ne m’empêche pas d’y réfléchir et de contre-argumenter, pas plus que ça n’arrêtait Marx ou Nizan (et sans prétendre atteindre leur niveau). Et le tout, en m’appuyant directement sur ce que vous dites, ce qui est une politesse que vous n’avez pas jugé bon de nous accorder.
Une dernière chose: pour éviter d’écrire quelque chose que « certains aimeront d’autres pas », il faut ne pas écrire du tout. Il n’y a pas de thèse, aussi appuyée sur la Raison Pure qu’elle fût, qui remporte l’adhésion universelle. Et sachez que je n’apprécie pas du tout de me faire traiter de « fou amateur de lourdeurs » (« (faudrait quand même être fou et aimer les lourdeurs) ». Avec ce genre de commentaire acide, c’est à se demander si nous mettre en colère n’était pas votre but. Dans ce passage, vous passez d’un message insultant à l’insulte proprement dite. Merci au passage pour le fait d’utiliser « fou » comme une insulte, procédé qu’en tant qu’affligé de troubles psychiques je prends à sa juste valeur), ou de nous faire renvoyer à notre supposée nullité.
A bon entendeur.
Gaël, Ce n’est qu’une théorie,
Je vous prie de m’excuser
Je prends vos critiques et je les reçois d’autant mieux que je ne pensais pas que la médiocrité de mon commentaire les méritaient si longues et détaillées, surtout vous Gaël.
Aucune excuse valable de mon côté : si j’avais conscience d’avoir écrit cette nullité et de n’avoir à peu près pas lu votre article, pourquoi l’avoir fait ?… C’est juste idiot de ma part. Bref, cependant la faute a été commise, et même si je ne suis pas d’accord (mais alors pas du tout) avec votre théorie sur le mépris de classe de la foule sur la place de grève (la carte mépris de classe tombe à l’eau, très souvent et ici en particulier, mais peu importe) pour des raisons empiriques et factuelles – et je ne parlais pas d’ailleurs de scène historique débouchant à une exécution capitale, mais bien d’une scène possible aujourd’hui – et même si d’autres points de votre réponse me montrent que le malentendu est total, comme je me suis moi-même privé du droit d’argumenter par la désastreuse performance que j’ai étalée, que j’ai jusqu’à présent montré à quel point j’en étais incapable (croyez-moi, c’est sincèrement que je pense que je n’ai pas assez de discipline intellectuelle pour analyser comme vous l’avez si bien fait ma pourtant longue et tortueuse amphigourée) la seule chose que je peux faire pour me rattraper est de clarifier que par la parenthèse « faudrait quand même être fou et aimer les lourdeurs » vous n’étiez absolument pas visé !!! Au contraire, cette remarque se voulait de l’autodérision sur la lourdeur de style de mon commentaire ! Mais à la lourdeur s’est associé la maladresse et je vous ai causé plus de colère par ce malentendu que le commentaire lui-même n’en causait déjà. A relire ce n’était pas du tout évident de voir de l’autodérision, bref, désolé.
Donc vraiment je le répète : je ne remets absolument pas en cause votre goût ou celui de quelqu’un en particulier. Et je ne voulais insulter personne, en général dans ce mail (et là j’admets que je ne peux pas me cacher toujours sous la bonne intention car il est possible d’être mal interprété, surtout si on écrit avec si peu d’attention comme je l’ai fait, bref la médiocrité de mon commentaire est insultante, c’est vrai), mais précisément à cet endroit, non et non je vous assure que l’insulte m’était destinée. Plus généralement je voulais dire que très malheureusement, j’aime aussi les pamphlétaires (en particulier Nizan) mais parce que nous aimons tous la violence hélas.
Autre vérité qu’il ne m’est pas difficile d’admettre : votre plume est très bonne et très claire.
Je vous demande pardon de vous avoir fait perdre du temps, et je vous remercie en effet de m’avoir accordé la politesse de répondre.
PS: vous pouvez sans aucun problème choisir de ne pas publier ce commentaire, car je m’admets suffisamment réfuté indépendamment de ces excuses, disons qu’évidemment en le publiant ça me laverait de l’accusation d’avoir voulu vous insulter, mais pas de la bêtise déjà évoquée, et je ne sais pas de toute façon si j’ai mérité un quelconque droit de réponse. Donc, je n’irai pas crier à la censure.
C’est à votre honneur de nous faire ces excuses, et ça a entre autres vertus le mérite de faire retomber ma colère. Je vous en remercie, et ce d’autant plus que je sais d’expérience, puisque comme chacun de nous il m’arrive de faire des conneries, à quel point faire de véritables excuses est difficile.
Là-dessus, je vous souhaite une très bonne fin de journée, avec le témoignage de mon estime.
(PS. Il arrive de fait d’être insultant, voire d’insulter par accident, ou maladresse. Ma colère était exclusivement tournée contre ce que vous aviez dit, absolument pas contre vous, en tant que personne)
Oh! concernant le « goût de la violence »… je crois que c’est une mauvaise façon de poser le problème.
Il faut, c’est un impératif catégorique à mon sens, ne pas aimer la violence; mais la violence peut être justifiée.
En droit, on reconnait à juste titre la légitime défense, qui est un usage justifié de la violence qui ne fait pas grand débat, comme exception qui interrompt un jugement au pénal pour un acte répréhensible par la loi (en dehors des conditions de la légitime défense).
Dans la lutte sociale, la violence est parfois – souvent – le seul recours – et le rejet de principe de la violence est souvent la dernière arme de qui a intérêt à un status-quo, recours qui s’étend d’ailleurs à cette injonction à rester calme du dominant vers le (et surtout la) dominé(e) que la pratique militante a nommé « tone-policing ». Je crois qu’il faut lutter pour continuer à ne pas aimer la violence, tout en reconnaissant son utilité dans certaines situations (et oui, la question des limites qu’on lui donne est une question qui restera à jamais brûlante, et toute décision, pour ou contre son usage, prendra toujours le risque de trancher mal. Mais c’est important de garder à l’esprit que les conséquences peuvent être catastrophiques dans les deux cas, et pas uniquement quand on exerce une violence au-delà de ce qui est légitime; le maintien d’un status-quo aussi, fait des victimes).
Bref: ce problème n’est pas simple, ne le sera jamais, et le choix sera toujours risqué.
A une époque où il avait encore de l’optimisme dans l’avenir, le situationniste Guy Debord écrivait « La victoire sera pour ceux qui auront su faire le désordre sans l’aimer » (in « Thèses sur la révolution culturelle », revue Internationale Situationniste n°1, 1958). C’est je crois une leçon qui s’applique à l’usage de la violence dans les luttes sociales. Elle doit nous rendre méfiants face aux amateurs d’émeutes pour qui cette dernière est assimilée à une grande fête ayant une valeur pour elle-même; comme face aux larmes de crocodile des chiens de garde du capitalisme se lamentant au chevet des vitrines défuntes.
Une dernière petite chose, pour vous et plus généralement, notre lectorat: nous avons réagi durement (surtout moi) à votre premier message, parce que des ambigüité dans l’expression rendaient le message insultant (je réitère que je suis rassuré sur le caractère accidentel et involontaire); mais ça ne doit pas vous effrayer pour continuer à faire vos remarques et objections. Il n’existe pas de réactions inutiles, à partir du moment où leur formulation permet leur réception. Ce qui vaut y compris pour les questions et objections les plus naïves.
Si vous avez encore des objections, n’hésitez pas à les formuler, en prenant votre temps. Nous tâcherons d’y répondre, que ce soit pour vous donner raison (c’est un peu ce que nous avons fait à nos lecteurs qui trouvaient que nous passions trop vite sur la question de l’utilitarisme pour être précis et donc, justes), pour clarifier un point d’incompréhension, ou pour répondre par nos propres objections aux vôtres.
Nous ne censurons que les bots publicitaires et les messages qui sont manifestement du troll (jusqu’à présent nous avons eu la chance de n’avoir eu à gérer que les premiers), et il est très manifeste que vous, par exemple, n’êtes pas un troll (ni un bot publicitaire).
OMG autant à dire et rien sur le Care… :(( Il va falloir résoudre ce problème ! A moins que ça soit déjà fait ailleurs ?
La négation des émotions est à remettre dans son contexte patriarcal : on laisse aux femmes et aux pauvres le soin du corps, l’écoute et l’expression des émotions, la culture du ressenti, et on maintient non valeurs de Raison et de Gestion des émotions en analysant des chiffres en réunion ou devant des écrans, qui permettrons des décisions « maximisatrices » (patriarcales) et de contrôler à distance les corps. Je pense qu’il faut voir les activités réflexives rationalistes comme un privilège masculin (pour l’instant). Comme le dit Delphy, derrière chaque chercheur universitaire, il y a une femme qui fait à manger (je simplifie et je n’ai pas le temps de retrouver la citation exacte déso!)
L’histoire ne retient que la philosophie des « grands penseurs » hommes, et ça n’est pas sans incidence sur la promotion de la Raison. Pour moi le zététisme classique est une façon (inconsciente) de prolonger cette culture patriarcale, en créant une hierarchie « Sachants / ignorant-e-s ».
Il va falloir aller plus loin nous les gars, et que malgré notre appétence pour les nourritures cognitives, nous plongions le corps entier dans nos passions, qu’on se mette au soutien empathique, à l’écoute, au soins… Ce jour-là on fera moins les malins face aux prétendues émotions trompeuses. Juste on leur rentrera dedans, et on fera du Care notre nouvelle éthique politique (de gauche, svp!)
Bonjour!
Oui, évidemment la culture patriarcale a un impact majeur, puisque le patriarcat a toujours divisé les qualités humaines en bonnes et mauvaises (ou en tout cas moins bonnes) et en attribuant les premières à l’Homme (avec un grand H) et les secondes à Lafâmme (étant entendu que c’est une facilité de langage, le patriarcat, comme le capitalisme par exemple, est une structure, pas une personne. Il n’a pas d’agentivité au sens propre).
En particulier, la modernité a décrété les hommes portés sur l’intellect et les femmes sur la sensibilité (l’époque moderne pouvait du reste s’appuyer sur le sexisme violent de l’antiquité gréco-romaine. Je me souviens d’une lettre de Diogène le Cynique, dans laquelle il dit – chose rare – du bien d’une femme: son compliment le plus fort à ses yeux semblant être de dire qu' »elle pense comme un homme »). Il existe même une version particulièrement ridicule que ses partisans parent d’oripeaux de scientificité, l’idée qu’il existerait un « cerveau masculin » et un « cerveau féminin », le premier rationnel et le second, sensible.
Cette mythologie patriarcale est bien évidemment centrale dans cette séparation du sensible/émotionnel et de l’intellect/rationnel. Mais ce serait une erreur de penser que cette idée, qui puise son origine et sa substance dans les mythes patriarcaux, est toujours corrélée à un sexisme explicite (évidemment, nous sommes tous et toutes traversés par cette société et nous avons tous plus ou moins – mais plutôt plus – intégré ses codes notamment patriarcaux). C’est une idée qui justement puise une partie de sa force de pouvoir être partiellement décorrélée de ce qui l’a vu naître; on peut parfaitement penser que les émotions sont mauvaises et la rationalité pure bonne (et possible, ce qui est une absurdité du reste, mais bref) tout en militant activement pour la visibilité des femmes dans les sciences (c’est d’ailleurs à la mode en ce moment de mettre en avant des figures féminines injustement oubliées des sciences. Mode du reste très positive, à ceci près qu’elle a l’effet secondaire de contribuer à renforcer une vision de l’histoire des sciences basée sur les Personnages Illustres. Quoiqu’il en soit, personnages illustres pour personnages illustres, il est quand même bon qu’au moins ce soit fait en rappelant que les femmes participaient déjà à l’essor des sciences durant l’Antiquité), pour la reconnaissance de la rationalité des femmes (évidemment qu’elles sont rationnelles – elles sont humaines. Mais à nouveau: bref…).
L’idée que nous tentons de défendre est très différente de la promotion des valeurs traditionnellement associées à la féminité, comme les sentiments – c’est un élément de notre argumentaire, mais pas son but final. Le but final, c’est de tenter de faire comprendre que cette séparation même entre « raison » et « émotion » est totalement infondée. Qu’on ne trouve jamais les deux séparés (comme disait Albert Moukheiber – il me semble que c’était dans son interview par méta de choc – même quelqu’un qui prétend qu’il faut rester froid pour atteindre le Saint Graal de la Pure Rationalité, éprouve encore une émotion: la froideur 😀 . Bon l’interview ayant plusieurs parties, je ne sais plus dans laquelle il en parle, mais c’est une ressource des plus pertinentes. Albert a d’ailleurs été un de nos interlocuteurs dans la rédaction de cette série d’articles et ses conseils ont été des plus précieux). Que les émotions sont souvent de bons moteurs, et n’ont pas à être considérées comme des obstacles à priori pour la pensée. Et que (c’est notamment ce que j’essaie d’expliquer dans Fauxphismes – une introduction, sur ce même site) l’appel aux émotions dans l’auditoire peut très bien être un procédé rhétorique parfaitement légitime (ce que la rhétorique classique savait déjà, comme le prouvent les écrits de Cicéron sur la rhétorique).
Bref, il ne s’agissait pas pour nous de valoriser une image renversée du patriarcat, mais de casser purement et simplement sa logique.
Je reviens sur l’idée que « l’histoire ne retient que la philosophie des « grands penseurs » hommes », rapidement, parce que c’est à la fois (tristement) vrai, et complètement faux. Oui je sais c’est une phrase curieuse, mais permettez-moi de préciser: l’histoire, disons, des vulgarisateurs, est encore une histoire essentiellement chronologique, basée (comme j’en parlais plus haut) sur les Grands Hommes (et dans le meilleur des cas, quelques Grandes Femmes). L’histoire des historiens, par contre, ne procède heureusement plus de la sorte: on ne fait plus d’histoire des rois et des batailles comme on a pu le faire au XIXème siècle encore, et l’histoire des sciences n’y échappe pas: elle ne s’intéresse plus guère aux Grands Personnages (le plus souvent, quand elle le fait, c’est pour s’intéresser en fait à ces grands personnages comme figures mythiques), mais tente d’analyser les structures historiques (pour faire vite. J’ai parmi mes nombreux projets d’articles, un qui me tient à cœur, qui concerne l’épistémologie de l’histoire – et son histoire). Evidemment, ça inclut des historiens et surtout des historiennes des sciences qui analysent les sciences avec un regard féministe (ce qu’on désigne en général sous le nom d’épistémologie féministe, et c’est un domaine passionnant: au cas où vous ne connaitriez pas cette chaîne, je vous conseille chaudement la chaine youtube Game of Hearth, dont une bonne partie du travail consiste justement à vulgariser ce domaine; il y a même une excellente vidéo d’ensemble à ce sujet sur la chaîne. Par ailleurs, si vous voulez vous faire une idée en vous plongeant directement dans ce bain, je peux par exemple vous conseiller l’excellent ouvrage de Evelyn Fox Keller, Le rôle des métaphores dans les progrès de la biologie, qui montre comment les métaphores qu’on s’est choisies pour parler de reproduction – le très daté « le spermatozoïde féconde l’ovule » – orientent la recherche d’une manière genrée).
Et oui, en conclusion: de gauche, évidemment 😉
Merci pour votre réponse, avec des références intéressantes que je met dans ma liste d’écoute. L’épistémologie féministe est une nécessité oui, c cool que ça existe.
Je suis d’accord que les historien-ne-s ne se focalisent pas sur les « Grands Penseurs ». Par contre c’est en grande partie leurs idées qui ont été transmises, y compris sur la façon d’accéder aux savoirs.
Vous prenez en compte l’aspect patriarcal, c’est chouette, et ça fait du bien !
Par contre je ne dis pas seulement que les émotions sont nécessaires, ou qu’elles peuvent être des alliées dans la connaissance. Je parle plus encore d’activités sociales : les activités sociales intellectuelles sont possibles parce qu’il y a une masse de femmes et précaires à nos soins. En l’état actuel, en tout cas.
Pire : les activités de Care portent en elles un autre modèle de façon de faire de la politique, qui va bien au-delà de la vision Rousseauiste, républicaine, ou même marxiste. Les « termes du contrat » social sont définis, hérités et entretenus par des hommes.
Enfin, pire encore (!) les activités de Care consistent (entre autre) en des formes de connaissances pratiques, vécues, sensorielles et sensibles, en plus de connaissances cognitives classiques. Mais la science étant patriarcale, elle ne peut accepter ces épistémies (jsais pas comment appeler ça déso), et elle rejète cela dans la pseudo-science, le marketing, la manipulation etc précisément PARCE QU’elle maintient des distances vis à vis des émotions, parce qu’elle défend une forme réductrice de matérialisme, parce qu’elle veut des règles partout, parce qu’elle définit la connaissance légitime en ses propres termes.
Je m’appuie notamment sur une étude de terrain que j’avais faite en socio pour affirmer cela, mais aussi sur des lectures, et… des expériences pratiques et sensibles ^^ (évidemment…)
Est ce que vous voyez ce que je veux dire ?
Merci pour l’échange . Et désolé si je suis trop … passionné ! 😉
Vous l’avez sans doute remarqué, ma réponse était beaucoup moins une objection à ce que vous disiez qu’un rebonds, nous sommes d’accord sur le fond 😉
Pour ce qui est de la passion: vous me dites ça à moi! 😀 Si vous m’avez déjà croisé sur les réseaux sociaux, vous l’avez sans doute remarqué: mes colères sont légendaires. Justement parce que pour les choses qui me tiennent vraiment à cœur, je suis vite intraitable quand je vois dans un discours de graves manquements éthiques (je peux me sentir frustré face à l’incompréhension, mais pour me mettre en colère, il faut autre chose qu’un désaccord; mais cette « autre chose », hélas, est courante, surtout quand on en vient à parler de rationalité et d’émotions…).
Je serais, du coup, bien hypocrite si je vous reprochais votre passion.
Bonjour,
ca va etre long ^^
je vais faire par à chaque fois un rapide résumer des arguments exposés dans l’article puis ce qui me gêne par ordre de paragraphe.
-Il existe des mensonges qui fait plus mal que la vérité donc c’est pas un indicateur l’impact d’un point de vue.
–> En pratique, on ne va pas garder un mensonge qui fait plus mal que la vérité, on va le garde car il est réconfortant pour la personne. Ce que je suis d’accord pour dire que c’est pas forcément un bon indicateur (et encore, c’est pas un ndicateur absolu mais comme tous en faite) car le mal est ressenti par personne. un point de vue va faire plus mal à une personne qu’a une autre. et c’est surtout pour cette raison et pas la posible existant d’un mensonge qui peut faire mal…
-Rationnel / émotion : définition et beaucoup, beaucoup de bémol sur le rationnel.
–> vous ne dites rien sur les émotions et la facilité déconcertante de les modifier ou modulable selon des présentations différentes d’un même sujet…
– Définition de l’analyse de risques.
–>ben là pas d’émotion qui vienne en compte dans le calcul juste des connaissances
-La quantification,pb soulevés : le cadre de la question (environnement de société, quoi juger, avec quoi etc..) transformer des actions en chiffre (besoin de sentiment propre et avis subjectif)
–> alors le cadre de la question, ben là c’est un faux probleme, il suffit juste de changer la question pour modifier le cadre et la question (est ce qu’il est souhaitable de modifier cet aspect de la société etc…) et ce que l’on prend comme donnée d’entrée… Bien sur à chaque fois ca sera un probleme simplifier de la réalité (mais que lon peut plus ou moins complexifier)
–> transformer des actions en chiffre : c’est à chacun de de juger les potentiels résultats, avec des modulations différentes selon les personnes, les expériences de vie et l’époque. c’est juste une précision, et cela ne va pas à l’encontre raison VS sentiment
-D on passe trop long
« Suite à tous ces développements sur le fait que l’émotion ne s’oppose pas à la raison, voir lui est nécessaire »
Alors il faut m’expliquer où vous avez parler des émotions dans les parties supérieures parce que là, je ne vois aucun paragraphe sur les émotions. Donc si pour vous la raison n’utilise pas les émotions, elle ne s’oppose pas. Ben justement, vous avez expliqué la raison sans utiliser la notion d’émotion donc c’est qu’elle est extérieur à toute raison…
(c’est juste une ptite pharse qui me choc, pas grave en soi)
-Vous dites que les émotions peuvent tromper mais aussi apporté de l’information. et que la raison peut trompé aussi même sans émotion.
–> alors oui, la raison peut tromper quand on oublie sciemment des objectifs…et donc le raisonnement est faussé / les émotions apporte des informations, oui mais jusque là vous ne parler pas de prendre des décisons juste, d’information (ou quand elle sert à prendre des décision, dans le paraphe c’est quand elle est trompeuse)…
– oula, encore une ptite pharse qui me pique les yeux ! « une chose soit rationnelle ou non découle forcément des préférences des individus. Or, ces préférences, elles sont nécessairement émotionnelles. Les émotions sont donc en fait intimement liée à la rationalité »
les préférences sont émotionnelle ? non, non, non vous mélangez deux conceptes d’émotions pour retomber sur vos pattes. je préfere les pommes aux bananes en accord avec mes émotions quand je les mange (ma préférence entre deux fruits sont du à mes émotions ici). Après je préfere les pommes aux bananes en accord avec mes principes car la banane émet plus de CO2 (vous pouvez me dire où sont les émotions dans ma préférence ici ?)
-la raison ne prend pas en compte ce qui n’est pas comptable, et c’est important de resentir les émotions et préférence de son interlocuteur.
–> alors si la raison peut prendre en compte les suffrance, et même mieux que les émotions : quand vous voyez un enfant avoir un accident VS on vous apprends qu’il y a eu un acte terroriste en Irak qui a tué 100 perosnnes dont des enfant. Personellement, mes émotions sont plus à l’écoute du gosse qui a eu un accident (je peux en faire des cauchemars), par contre ceux en Irak… Par contre ma raison me dit que c’est plus affreux ce qu’il s’est passer en Irak.
–> prendre en compte les émotions et les préférences de son interlocuteur, ok mais c’est pas avec cela que l’on va se construire un raisonnement ni même prendre une décision.
Bref pour conclure, quand ya de l’émotion dans l’argumentation, c’est soit un piège, soit une information qu’il faut retraiter avec un raisonement pour prendre une bonne décision. bref en gros c’est bof (pour résumer très rapidement)
Pour la raison, il faut faire attention de pas faire des calcul trop simpliste et regarder si on pose la bonne question (rien a voir avec les émotions)
Bonjour,
Je n’ai pas tout à fait le temps de répondre là maintenant, mais je valide quand même le com pour pas vous faire poireauter. Je tacherai de venir répondre dans pas trop longtemps.
L’origine et la démarche subjectives de la philosophie en sont aussi l’origine et la démarche objectives. Avant de penser la qualité, tu la sens. L’affection précède la pensée.
Rien d’autre. Je cite Feuerbach, parce que c’est ma manière saugrenu de vous remerciez pour ces lectures, et les efforts de réflexion, élaboration et rédaction de votre part qui les auront permises.