Sciences et dominations : notes d’un live twitch perdu

Temps de lecture : 6 minutes

En juillet 2022, notre collectif à organisé plusieurs tables rondes en ligne, et la 3e portait sur le sujet « Sciences et Dominations ». Malheureusement, l’enregistrement du live n’a pas fonctionné, nous allons donc mettre ici à disposition les notes préparatoires.

1- Plan du live

– Présentations : d’où on parle chacun.

– Biais dans les sciences : représentations dans les sciences et orientation de leur contenu / production et diffusion des savoirs (topo Aurélie + discussions)

– Opposition entre rationalité et délire. Discussion : autorité et délimitation de qui dit des trucs rationnels versus des trucs « délirants » (topo Dandélion + discussions)

– Sciences/rationnalité et validisme/ psychophobie/ sanisme/antipsy / catégories des troubles conditions mentales et DSM (topo Mad Freaks Pride + discussions)

– Sciences et patriarcat / genre : contrôle des corps pour binariser / études scientifiques sur les trans, les intersexes, manières dont elles sont pensées (topo Elena Merigold + discussions)

– Sciences/rationnalité et racisme : sciences racialistes / rapports de pouvoir entre pays blancs et autres pays, savoirs colonisés, exploitations dans la production des savoirs (topo Omar – Le Malin Génie + discussions)

2- Biais dans les sciences – par Aurélie, autrice du blog Ce N’est Qu’Une Théorie

Le premier sujet qu’on avait envie d’aborder ce soir c’était quelques aspects généraux de comment des biais peuvent s’introduire en sciences, et orienter leurs contenus et la manière dont ils vont servir à prendre des décisions collectives et individuelles. En gros la thèse qu’on va un peu défendre c’est qu’il y a des biais « récurrents » dans les sciences, qui désavantagent des groupes de personnes qu’on va qualifier de « minorisées », et qui correspondent aux différents groupes opprimés : les femmes, les handifols, les LGBTQIA+, les personnes racisées, les pauvres, etc.
Un exemple qu’on croise souvent c’est la manière dont la médecine accumule plus de connaissances au bénéfice des hommes dyacis qu’au bénéfice des femmes et autres minorités de genre.

Avant de détailler plus le type de mécanismes qui conduisent à ces biais récurrents, je précise que les groupes minorisés listés le sont comme indicateurs mais il faut garder à l’esprit que c’est plus compliqué que juste « appartenir ou pas à un de ces groupes ». Il y a aussi des effets de minorisations à l’intérieur des groupes, il y a des intersections qui font que lorsqu’on appartient à plusieurs de ces groupes en même temps on est encore plus minorisés, et même entre sous-catégories il y a des effets qui sont différents selon les axes qu’on regarde, on a des vécus différent, etc. Il faut garder ces nuances en tête.


Passons à la question des mécanismes qui introduisent des biais du coup. Je vais les lister mais ensuite ce qui sera intéressant c’est qu’on pourra les uns et les autres donner des exemples « vécus » de la manière dont dans le milieu académique on a pu faire face à ces biais. Donc on peut classer ces mécanismes en trois catégories, déjà : ceux qui interviennent dans la production des savoirs d’une part (est ce que certaines idées sont explorées, et donnent lieu à des publications scientifiques), ceux qui interviennent dans la diffusion des savoirs ensuite (est ce que les résultats de ces explorations sont accessibles, est-ce qu’ils sont compris, est ce qu’ils sont diffusés), et enfin ceux qui interviennent dans leur mise en application (est-ce qu’ils servent aux processus de décision soit individuels, soit collectifs, et comment).

Sur la production des savoirs, qu’est ce qui fait qu’une idée sera explorée ?

Attention déjà à ne pas réduire ce problème d’exploration à «  des choses ne sont pas étudiées car ça ne concerne que le groupe minorisé et il n’y a pas assez de personnes de ce groupe minorisé disponibles et motivées pour étudier cette idée ». La question de l’exploration des idées, c’est bien plus complexe que ça.

Le fait qu’une idée soit explorée peut avoir des conséquences positives OU négatives pour le groupe minorisé, ou même les deux à la fois, et le fait qu’une idée ne soit PAS explorée également (on préférait que les idées racialistes n’aient jamais été explorées, par exemple).

Donc, qu’est ce qui fait qu’une idée sera explorée ? Et bien le fait de considérer :

  1. qu’un problème mérite d’être étudié,
  2. qu’il mérite d’être financé à hauteur des coûts qu’implique cette étude,
  3. qu’il représente un danger ou non d’être étudié (effets secondaires des contraceptifs chez les hommes versus racialisme),

Or ces choses sont impactées par les biais de représentation : il y a peu de chercheurs appartenant aux groupes minorisés, et encore moins quand on parle de groupe minorisés parmi les minorisés. Il y a encore moins de chercheurs minorisés qui sont en position de *décider* des orientations de la recherche. C’est ainsi que commencent à s’introduire des biais qui défavorisent les groupes minorisés dans la production des savoirs.  

Mais au-delà de la question de si l’idée sera explorée, il faut encore voir *comment* elle sera explorée. L’identité des chercheurs, et des décideurs parmis les chercheurs, ça va avoir une influence sur :

  1. la manière dont on va décider de faire les observations : quelles unités de mesure on choisit, comment on va « découper » les catégories de l’étude (typiquement hommes versus femmes ? ou hommes dyacis, femmes cis, hommes trans non hormoné, homme trans hormoné, femmes trans (hormonée ou non), intersexuation1, intersexuation2, etc.) et la manière dont on va choisir les « variable » à étudier (si on explore les effets secondaire d’un somnifère… on regarde le poids, ou le genre comme variable intéressante ?). Sachant qu’il y a des contraintes budgétaires pour étudier les groupes « rares » donc on retombe sur le point 2 précédent.
  2. la manière dont on va envisager ou non des hypothèses pour expliquer les observations, et les interprétations qu’on va faire des observations (par ex s’arréter aux effets de genre ou explorer la possibilité qu’ils soient dus aux différences de taille entre les genres, qui impacte le poids).

Passons à la question de la diffusion des savoirs. La diffusion des savoirs, une fois publié, va dépendre :

  1. du temps que la personne minorisée a pour valoriser et défendre son travail. Lorsqu’on est une femme qui a des enfants, ou une personne handifol, par exemple, on a beaucoup plus de contraintes, et moins de ressources financières et d’opportunités pour le faire.
  2. du prestige des revues et supports dans lesquelles le travail a pu être publié au départ ;
  3. du prestige accordé aux personnes qui émettent et défendent ce travail (les personnes appartenant aux groupes dominants bénéficient d’un a priori favorable qui les rend plus visibles).
  4. de l’adhésion aux idées défendues, qui va conduire des éditeurs à republier ce travail, ou des vulgarisateurs à le diffuser. Des idées issues de personnes minorisées peuvent correspondre à des perspectives difficiles d’accès aux personnes non minorisées. Si les personnes qui prennent les décisions de diffusion ne sont pas minorisées, elles peuvent donc considérer le travail moins convainquant ou pertinent et cela va conduire à ce qu’il tombe dans l’oubli. Parfois encore le travail sera plagié ou diffusé par des personnes moins minorisées qui laisseront aux oubliettes des nuances importantes pour les personnes minorisées, et sera « plus convainquant » pour le public non minorisé.

Passons enfin à la question de la mise en application des savoirs.

Il y a toujours de compromis à faire quand on met en place des solutions : à coûts et bénéfices connus, on va trancher si on utilise une solution ou plutôt une autre. Le problème, c’est que les coûts et les bénéfices d’une solution ne seront pas toujours  « portés » de la même manière par les différentes parties prenantes. Et il y aura donc une négociation à faire pour déterminer quels enjeux on prend en compte ou on priorise dans ces compromis. Typiquement, ce n’est pas vraiment un hasard si bien que la ligature des trompes soit bien plus risquée que la vasectomie, ce sont bien plus souvent les femmes qui se font ligaturer que les hommes qui subissent une vasectomie dans les couples hétéros ne souhaitant plus d’enfants. Il y a une « négociation » qui passe à la fois par des effets de contraintes asymétriques et des effets d’inertie,  et qui conduit à cette « décision » là.

Donc tous ces mécanismes de production, diffusion, et application des savoirs ont des effets qui se cumulent, qui sont principalement au désavantage des groupes minorisés. De manière générale, les groupes minorisés devront prendre leurs décisions avec plus d’incertitudes (car moins de savoirs produits et diffusés sur les options dont ils ont besoin pour résoudre leurs problèmes), et subiront plus de « savoirs » présentés comme fiables mais qui ont en fait des conséquences plus délétères pour eux que ce qui est avancé par l’état des connaissances.

Du coup on a présenté beaucoup de mécanismes et peu d’exemples, ça peut être un peu théorique, du coup j’invite chacun à parler un peu de ce que ça lui inspire, lesquels de ces mécanismes il ou elle ou iel à pu expérimenter ellui-même dans sa trajectoire.

3 – Opposition entre rationalité et délire – par Dandélion

4 – Sciences/rationnalité et validisme/ psychophobie/ sanisme/antipsy / catégories des troubles conditions mentales et DSM – par Mad Freaks Pride

5 – Sciences et patriarcat / genre- par Elena Merigold

6 – Sciences/rationnalité et racisme – Par Omar, Le Malin Génie

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