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Nous sommes un groupe de personnes passionnées par les sciences ou l’esprit critique et qui, après avoir fréquenté un certain temps les milieux rationalistes du net, se sont retrouvées fort déçues de la manière dont l’esprit critique était parfois défendu. Quelques un·es d’entre nous se sont croisé·es, ont créé un groupe de discussion, ont coopté d’autres déçu·es…. et le temps est venu de proposer nos propres contenus critiques.
Diverses formes d’esprit critique, allant du complotisme au scientisme
Nous qualifierons ci-après d’esprit critique l’attitude qui consiste à solliciter la rationalité pour évaluer la pertinence d‘informations, d’idées, d’opinions, de théories, d’arguments ou de valeurs qui circulent, qu’elles soient consensuelles ou non. Il existe un certain nombre de personnes et de structures engagées dans la défense de cet esprit critique.
Lorsqu’il s’agit de remettre en question des théories, certain·es de ces défenseur·ses sont, en fait, hypercritiques de certains détails, tout en mettant de côté des preuves et indices forts qui, lorsqu’ils sont pris en compte, rendent leurs critiques caduques : les théories du complot les plus ubuesques, comme le platisme, se revendiquent par exemple de l’esprit critique. Par facilité de langage et par manque d’alternative moins connotée, nous désignerons ce groupe critique par « complotistes ». Les complotistes se caractérisent par une confiance nulle dans les institutions, les consensus scientifiques, les théories officielles. Cette forme d’esprit critique ou de scepticisme dévoyé est la plus évidente à critiquer, palper l’absurdité de leurs conclusions est à la portée du premier zététicien venu.
A l’inverse des complotistes, il existe des groupes d’esprit critique qui se caractérisent par une confiance exagérée dans les institutions, les consensus, les théories officielles (ou jugées officielles), et notamment par la croyance que « LA » science fonctionne suffisamment bien pour qu’il n’y ait jamais lieu, pour la société civile, de remettre en cause les énoncés qu’elle produit. Exercer son esprit critique consiste pour ces groupes à rejeter toute proposition qui n’est pas validée (ou dont ils pensent qu’elle n’est pas validée) par « LA » science, et à ne donner de chance à une idée nouvelle que si elle s’inscrit dans une démarche qu’ils reconnaissent comme scientifique. Nous qualifierons ce groupe critique de scientistes. Le scientisme est plus insidieux que le complotisme, parce qu’il se réclame explicitement d’un progressisme rationaliste, et la critique de son propos est bien plus dure et bien plus rare.
Scientisme et politique
Les scientistes défendent l’idée que les consensus de « LA » science sont la seule information sur laquelle il faut se baser pour les prises de décisions politiques. Le scientisme peut ainsi très facilement dériver vers la défense (politique) d’une technocratie. Mais attention, les scientistes ont une définition assez étroite de ce qu’iels qualifient de science, sensément centré sur le critère poppérien de réfutabilité. Cela va occasionnellement les conduire à rejeter les consensus issus des sciences humaines ou des disciplines qui ne se conforment pas à cette méthodologie. Les personnes qui se rattachent à cette conception revendiquent généralement une position rationaliste, neutre, face à des adversaires qualifiés de tenants, d’obscurantistes ou de relativistes – étant bien entendu que ce dernier terme revêt pour eux une connotation extrêmement péjorative. Les scientistes établissent une démarcation claire (ou du moins, qui leur semble claire) entre ce qu’iels qualifient de science, et ce qu’iels qualifient de pseudoscience, démarcation qui reposera souvent (ou semblera souvent reposer) sur le critère poppérien de réfutabilité qui, on l’a vu, est central dans l’idéal épistémologique scientiste..
Par opposition, nous pensons que non seulement dans leurs pratiques les sciences ne sont en réalité pas définies par le critère poppérien de réfutabilité, mais en plus que les pratiques qualifiées d’obscurantistes par les scientistes usent parfois du critère de réfutabilité (par exemple les platistes imaginent des moyens de tester leurs hypothèses). Par opposition au scientisme, nous pensons donc plutôt qu’il y a des bonnes pratiques scientifiques, et des mauvaises pratiques conduisant à de la mauvaise science, mais pas de démarcation claire et fixe entre ces pratiques, ni même entre sciences et pseudosciences. Nous reviendrons amplement sur ces questions dans nos contenus présentés sur ce site.
Paradoxalement, ces personnes que nous qualifions de scientistes (qui nous l’avons précisé, glissent régulièrement vers la défense d’une technocratie) se disent aussi assez souvent apolitiques et condamnent même l’idée de militantisme, pour elles incompatible avec une démarche rationnelle et le bon fonctionnement de l’esprit critique. Dans leur logique, ces personnes ne défendent pas une idéologie ou un courant politique, mais seulement les idées que « LA » science aura désigné comme étant du côté de la vérité (et donc, suivant leur logique, du bien). Nous reviendrons également dans nos contenus sur les raisons pour lesquelles nous jugeons ce positionnement problématique. Notons pour l’instant que par opposition, nous préférons qualifier les informations et théories de vraisemblables ou peu vraisemblables plutôt que de vraies ou fausses, et que nous considérons que pour déterminer ce qui est souhaitable pour la société, l’analyse scientifique des données doit se doubler d’une analyse éthique et politique.
Quelle alternative aux complotismes et aux scientismes?
Enfin, il y a des personnes et structures qui admettent la relativité de la fiabilité des institutions et des consensus, et leur possible faillibilité. Elles en déduisent que ces consensus puissent être, en dépit des idéaux de neutralité et de rigueur portés par les scientifiques, colorés par les affinités idéologiques des chercheur·ses et leurs intérêts (industriels ou identitaires). C’est au moins en partie le cas du CORTECS (que nous saluons sur ce point), qui assume son positionnement politique. Ces personnes et structures proposent d’évaluer la fiabilité des informations en prenant en compte le fait qu’elles sont élaborées par telles personnes ou telles institutions, avec telles ou telles garanties. Plus précisément, la fiabilité des informations est évaluée en rapport avec le niveau de preuves disponibles mais également en prenant en compte le contexte dans lequel ces preuves sont produites et diffusées.
Quelle est notre position ?
C’est à cette dernière catégorie que nous nous identifions, avec néanmoins cette distinction majeure que nous jugeons que ces travaux de critique raisonnée ne s’attaquent qu’au versant « complotiste », en passant totalement sous silence les dérives du scientisme que l’on observe fréquemment dans les milieux sceptiques. Nous souhaitons donc pallier à ce manquement grâce au contenu avec lequel nous alimenterons ce site.
Nous savons que d’ores et déjà, le simple fait que nous nous posions en critique du scientisme a de quoi faire grincer des dents. Nombreuses, dans le milieu dit rationaliste ou sceptique, sont les réticences à l’idée-même de scientisme – souvent regardée comme une pure attaque, une insulte sans substance. Et même quand il est admis que le concept de scientisme puisse possiblement avoir un sens, il n’est pas admis que des personnes puissent être réellement scientistes. Une partie du contenu des plus scientistes des sceptiques est déjà dévolue à l’idée qu’un tel concept serait vide de sens – et on en comprend l’intérêt pour eux, mais la défiance à laquelle nous faisons face lorsque nous évoquons le scientisme excède de loin ces contenus : elle traverse tout le milieu dit sceptique.
Cette peur s’appuie principalement sur le fait qu’il est courant que les complotistes, qu’ils ou elles soient platistes, antivaxx ou autres, traitent tout ce qui s’appuie sur les résultats des sciences de « scientiste ». En retour, puisque les complotistes se servent de cette insulte, la solution la plus confortable (mais pour tout dire, la plus paresseuse) qui est en général adoptée dans le milieu dit sceptique, est de considérer que toute allégation qu’une position soit scientiste est une preuve que l’accusateur est un complotiste (ou un « relativiste postmoderne », ce qui revient pratiquement au même : il est entendu dans le milieu qu’une telle engeance ne mérite pas qu’on fasse ne serait ce que tenter de prendre au sérieux ses arguments). Cependant, au-delà de cette auto-justification facile, il y a une peur plus légitime, quoi que nous la considérions comme infondée : la peur est, il nous semble, que l’on ne soit plus capables de lutter efficacement contre les différents avatars du complotisme si on acte l’existence du scientisme; que si on fait une critique du concept de science, en minant l’aura des sciences, on donne du grain à moudre aux complotistes.
Nous pensons exactement tout l’inverse : tout le monde se revendique de l’esprit critique, tout le monde prétend être rationnel, à quelques exceptions près. Les complotistes contemporains sont très modernes; et les platistes, par exemple, se sont depuis longtemps adaptés puisqu’ils développent une argumentation à base de (très mauvaise) science (modèles théoriques alternatifs très poussés expliquant les phénomènes observables). Donner des armes à la critique de ce qui se donne des apparences de rigueur (dont le scientisme) n’est donc pas désarmer la rationalité contre les complotistes, bien au contraire. C’est non seulement couper l’herbe sous le pied des complotistes qui pensent pouvoir se servir du crédit des sciences à leurs propres fins, mais c’est aussi une question d’hygiène nécessaire à notre propre camp : en effet les sceptiques acceptent bien trop souvent des discours et portent sur un piédestal leurs auteur·ices sur la simple base qu’ils ou elles trouvent dans ces discours des ennemis communs. Lutter contre quelque chose de mauvais n’offre nulle garantie d’être bon ou juste. Lutter contre le créationnisme, par exemple, ne signifie pas qu’on ait compris la théorie de l’évolution.
Afin d’être clairs et transparents sur notre propre positionnement idéologique : nous nous identifions tou·tes à divers courants de gauche radicale (les plus à droite d’entre nous sont affilié·es à la France Insoumise mais sont numériquement en large infériorité), nous sommes anticapitalistes, anarchistes, marxistes ou communistes…. et en majorité, révolutionnaires. Ce mot signifie que nous pensons que la plupart des problèmes auxquels la société est confrontée actuellement ne sont solubles que par des changements structurels profonds et radicaux, et que le réformisme (la stratégie alternative qui consiste à ne faire que des ajustement au système existant) ne peut permettre au mieux que d’éponger les dégâts. Nous sommes également convaincu·es de l’importance d’intégrer les luttes féministes, LGBTQ+, antiracistes, et contre le validisme à notre lutte contre le classisme, et refusons de sacrifier une lutte au profit d’une autre. Nous serons donc extrêmement exigeant·es dans notre contenu, afin qu’il ne reproduise pas de propos oppressifs.
Nous espérons que cette transparence ne conduira pas notre public-cible premier (celles et ceux que nous identifions comme scientistes) à fermer d’emblée la fenêtre de leur explorateur en se disant « boarf des militants, ça va être idéologique donc biaisé donc nul », et que la volonté de se donner l’opportunité de comprendre ce qu’on à a dire l’emportera, et conduira à juger les contenus que nous produirons sur les efforts de rigueur argumentative et intellectuelle.
Qu’allons nous proposer?
Cette plateforme aura donc pour objectif de rassembler des contenus qui :
– critiquent les outils critiques couramment utilisés, et pointent leurs possibles défaillances lorsqu’ils sont mal utilisés (car tout doit pouvoir être critiqué, cela est aussi vrai des méthodes d’esprit critique);
– critiquent les idées consensuelles ou dominantes dans les milieux rationalistes et les groupes d’esprit critique mais qui d’après nous demandent encore un travail critique (spoiler : il ne s’agira pas de remettre en cause la balance bénéfices/risques des vaccins actuellement recommandés, ni de défendre que la Terre puisse être plate);
– critiquent et expliquent les mécanismes de l’instrumentalisation politique de la position critique, les prétentions de neutralité et d’apolitisme, et dévoilent les personnes qui se prêtent à cette instrumentalisation;
– fournissent des outils critiques offrant de nouvelles perspectives sur les aspects méthodologiques, épistémologiques, sociaux, éthiques et politiques des pratiques scientifiques.
Vaste programme donc. D’autant plus que nous sommes tous des procrastinateur·ices acharné·es. On espère quand même vous donner assez de nourriture intellectuelle pour que vous en redemandiez. Bonne lecture !
A noter : nous ne pouvons pas vous jurer que tous les contenus seront *toujours parfaitement rigoureux*, car nous sélectionnons les contributeur·ices à partir des idées défendues en commun et à partir de la rigueur qu’iels ont démontré par le passé, mais pour des raisons pratiques, à moins d’écart notable avec la ligne éditoriale ci dessus ou d’un manque de rigueur si évident qu’il fasse consensus parmi nous, nous ne censurerons ensuite pas leurs contributions. En effet, nous avons la caractéristique d’être extrêmement exigeant·es sur les idées que nous défendons (c’est ce qui nous rassemble), et cela aura pour conséquence probable que nous ne serons pas forcément toujours tous et toutes d’accord sur tout (voir que la plupart du temps nous ne soyons pas d’accord sur plein de choses). D’autre part ne publier que ce qui fait consensus entre nous conduirait à des débats interminables et l’impossibilité de finalement publier ces contenus. L’important, ici, est donc d’offrir du matériel de réflexion qui soit 1. nouveau comparé à ce qu’on trouve dans les milieux rationalistes, et 2. qui peut lui-même être contredit. Il n’est pas question d’offrir des idées parfaites prémâchées et prêtes à recracher. Gardez aussi à l’esprit que ce blog est en grande partie un blog de réflexions, et qu’on ne peut pas s’attendre à ce qu’une pensée en construction atteigne déjà un niveau de polissage élevé. En d’autres termes, vous êtes invité·es à maintenir votre esprit critique.
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