De l’art subtil et délicat d’esquiver la critique – Réponse à Thomas C. Durand

Temps de lecture : 23 minutes

(photo de couverture: Bettmann, photo prise au Hagenbeck Zoo de Hambourg en 1954)

Contexte

Thomas C. Durand (alias Acermendax, co-créateur de la chaîne youtube sceptique « la Tronche en Biais ») vient de publier un billet1 qui part du constat qu’il existe des « sceptiques des sceptiques » (des personnes qui font une critique du milieu), et auxquels il souhaite répondre. Son texte porte sur la critique par ces « sceptiques des sceptiques » de l’apolitisme du milieu sceptique / zététique, et, puisqu’il fait partie de ce milieu et qu’il est une cible récurrente des critiques émises par les « sceptiques des sceptiques », sur son propre apolitisme supposé.

Le billet de Mendax ne précise pas à qui il s’attaque (malgré ses propres recommandations d’être spécifique dans ses critiques)2. Toutefois diverses personnes se reconnaissent dans le terme « sceptiques des sceptiques », et nous nous sommes rassemblé·e·s pour écrire collectivement cette réponse.

Nous portons des critiques de natures différentes, aussi nous avons organisé cette réponse en trois grandes parties, dont une partie intermédiaire : les critiques politiques d’une part, et les critiques qui portent sur le fond scientifique d’autre part, entrecoupées d’une partie qu’on pourrait dire ‘mixte’. Nous terminerons par un point sur la rhétorique du billet d’Acermendax.

Commençons donc par les critiques politiques (par celleux d’entre nous qui portent une critique politique, donc, pas tou·te·s les rédacteur·ice·s de la présente réponse).

Avons-nous un problème avec les vulgarisateur·trice·s « apolitiques » ? Non.

Soulignons déjà qu’il est simplement faux de dire que nous aurions un souci général avec les vulgarisateur·trice·s qui adopteraient, dans leur travail, une posture « sans étiquette politique » : par exemple nous n’avons jamais trouvé à redire au travail de Christophe Michel de la chaîne Hygiène Mentale sur ce plan. Nombre de vulgarisateur·trice·s (des mathématiques à la physique en passant par la géologie) font un travail tout à fait remarquable (à plus forte raison quand ils ne s’aventurent pas inconsidérément hors de leur champ de compétence) sans que cela nous pose le moindre problème.

La posture d’apolitisme ne devient réellement un problème que quand on en vient à aborder les choix de société, la vie des gens, les rapports sociaux. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’expliquer, voire légitimer, les disparités sociales autour du genre, voire de la race ou de la classe sociale, par des processus biologiques, la question posée en ces termes est très loin d’être isolée de tout contexte idéologique, et l’enjeu de la non-neutralité est autrement plus important sur ces questions que la non neutralité qui consiste à choisir un repère géocentrique ou héliocentrique pour décrire le mouvement des planètes3.

Donc non, ce n’est pas toute vulgarisation « apolitique » (apartisane, en réalité, *qui se présente sans étiquette politique*) qui est problématique, mais une certaine vulgarisation sur certains sujets qui prétend être apolitique ou « détachée des étiquettes » alors même qu’elle a des conséquences politiques importantes et directes, à plus forte raison lorsque ce prétendu apolitisme se trouve en pratique opportunément protéger le statu quo de la domination sociale, qu’on en ait conscience ou non. On notera, par exemple, qu’Acermendax a consacré pas moins de quatre articles à la question du militantisme, principalement pour attaquer les militant·e·s de gauche, qualifié·e·s de « social justice warrior ».

Ainsi, quand Mendax écrit :

une injonction dérangeante et agonistique qui exige que les individus acceptent d’être rattachés à une étiquette politique pour avoir le droit de s’exprimer

ça n’est pas notre propos. Si injonction il y a, elle est d’assumer que le sujet que l’on traite est politique quand effectivement il l’est (et elle ne s’adresse pas spécialement à lui). Par ailleurs, nombre d’entre nous (mais là il n’y a pas d’injonction, quelque soit la définition qu’on donne au mot) considérons qu’il est effectivement préférable d’afficher ses préférences politiques (pas une adhésion à un parti, mais à un courant d’idées par exemple) lorsqu’on traite d’un sujet politique ET que l’on se réclame du scepticisme. En effet, savoir d’où les gens parlent, leur position, leur engagement est un outil précieux voire crucial pour pouvoir faire une analyse critique d’un propos, elle permet d’en identifier les possibles angles morts, en plus de clarifier un élément de contexte important : le but poursuivi4. Puisque nous encourageons nos audiences à faire preuve d’esprit critique, pourquoi donc les priver des outils qui le permettent ? Ce que nous prônons, en fait, c’est d’encourager son audience à être critique y compris envers nos propres productions, pas seulement par de belles paroles, mais en y joignant les actes.

Y’a-t-il des circonstances où la prétention à l’apolitisme nous semble problématique? Oui.

Le fait est que cette manière qu’a ce texte de se réclamer comme non-neutre parce que du côté de la Raison, du Vrai et de la Science, est congruent avec une déformation récurrente dans le milieu sceptique, faite plus explicitement au nom de la neutralité : maquiller des positionnements politiques (conscients ou non) à grands coups de références à une supposée indiscutabilité du « fait ». C’est en outre une stratégie récurrente des politiques conservatrices, très en vogue chez les libéraux (Peterson, et l’alt light a.k.a. Pinker, Shapiro, ou en France, par exemple Laurent Alexandre). Promouvoir l’esprit critique implique donc à nos yeux entre autres de dénoncer cette stratégie rhétorique, et, par cohérence, de ne pas l’employer nous-mêmes. En d’autres termes, ne pas afficher ses couleurs politiques parce qu’on pense que ça va conduire des gens à ne « pas nous écouter pareil » (Mendax écrit « ça permet de rester focalisé sur les sujets en question »), tout en traitant de sujets fortement politiques, c’est de la manipulation. Et nous nous y refusons. On notera pour finir que se dire non-neutre en se réclamant du vrai, là où c’est en fait le cas d’absolument tout le monde de se réclamer du vrai… ne fait qu’enfoncer le clou dudit travers. Se réclamer du vrai, c’est bien se réclamer d’un universel.

En fait, ce qui pose problème n’est même pas le choix de se démarquer d’un angle d’analyse politique à propos d’un objet d’étude qui ne s’y prêterait pas exclusivement : on peut tout à fait choisir de ne traiter que certains aspects précis d’une question de société controversée, si on l’explicite clairement. En revanche, concevoir sa posture d’analyse et son traitement de sujets controversés comme étant suffisamment neutres pour faire l’économie d’identifier le positionnement politique que l’on mobilise inconsciemment dans l’étude d’un phénomène nous apparaît problématique. A défaut d’admettre être totalement neutre… au final Acermendax revendique être « bien assez neutre pour » (il réfute être apolitique pour finalement revendiquer d’être suffisamment peu politique, ou « apolitique + epsilon »), pour que les implications politiques de ses sujets ne lui soient pas reprochées, ou pour suggérer que ces reproches seraient injustes parce qu’il se « limite aux faits ». Prôner l’apolitisme (même « + epsilon ») sans réflexivité, c’est en réalité se rendre aveugle aux idéologies qui se formalisent dans nos représentations, notre discours et nos actions. Même en revendiquant cette distance dans la façon d’aborder ses sujets (c’est-à-dire, penser qu’on se « limite aux faits »), s’exprimer sur des sujets de société a nécessairement des implications politiques, qu’on en ait conscience ou non. C’est justement cette inconscience que nous qualifions de *confusion politique*, la même sur laquelle joue l’extrême droite pour être perçue comme une opinion parmi les autres. Cette stratégie, Acermendax l’a d’ailleurs servie malgré lui, légitimant ses médias en s’y rendant, ou donnant une tribune à des discours foireux servant en partie ses argumentaires (une erreur de casting dont Acermendax s’est lui-même lamenté, mais illustrant non moins notre propos, d’autant que des internautes l’avaient mis en garde)5.

Par ailleurs, nous considérons aussi qu’il est important de ne pas considérer que les affirmations elles-mêmes, mais aussi de prendre en compte leurs effets, les discours dans lesquels elles s’inscrivent, qu’ils soient explicites ou tacites. Il n’est pas question de le faire pour juger de la véracité ou non desdites affirmations, mais bien de considérer une réalité qui les dépasse et est non moins importante. Les choses sont rarement dites pour rien. Par exemple, lorsque certains invoquent des statistiques raciales, la question n’est pas seulement de savoir si elles sont vraies (elles le sont parfois), mais aussi l’argumentaire souvent tacite qu’elles servent : un argumentaire raciste reposant sur l’omission des réalités sociales qui font ces statistiques. Ne pas considérer ce contexte plus large, ne pas contrecarrer cet argumentaire fallacieux, c’est faire au mieux la moitié du travail et, pire, sembler valider et renforcer cet argumentaire.

Acermendax réunit donc, malgré sa revendication de ne pas être apolitique, la majorité des travers que nous déplorons chez les sceptiques se disant apolitiques, ou se réclamant de la gauche mais en défendant l’idée qu’il puisse produire du contenu apolitique. Car même s’il ne se qualifie pas lui-même d’apolitique, et se positionne même plutôt à gauche, ce que nous reconnaissons de longue date, il échoue à comprendre les enjeux de la non-neutralité et de la négligence des dimensions politiques d’une manière très similaire à ceux qui se revendiquent apolitiques. C’est ce qui, combiné à une tendance à s’aventurer hors de ses domaines de compétence (tendance que n’ont pas d’autres vulgarisateur·trice·s qui se présentent sans étiquette politique), l’amène à produire des contenus qui tombent sous le coup de notre critique. Typiquement, pour prendre un exemple du billet lui même, lorsqu’il brandit le fait de « préférer le vrai au faux » comme gage de non-neutralité: c’est une assertion qui est partagée par tout le monde ! Y a-t-il quelque chose de « plus neutre » que la « préférence pour le vrai », qui ne divise personne ? Y a-t-il quelque chose de moins engagé que de déclarer un refus du faux ? A-t-on jamais vu naître une division politique sur fond de débat entre qui préfèrent la réalité et ceux qui revendiquent préférer la fiction ? Tout le monde préfère le vrai (ou, au moins, préfère s’en réclamer).

Autre exemple dans son billet, pour le fait de sortir de son domaine de compétence : Acermendax s’en prend à l’assertion « tout est politique » sans avoir la culture politique pour le faire. En effet, ce slogan ne vient pas de n’importe où (c’est un vieux slogan féministe des années 60/70), et il a son propre espace de validité (il répond à la différenciation classique, artificielle – et conservatrice – entre l’espace public et l’espace intime, la famille au premier chef, et est un appel à considérer la manière dont cet espace intime est bel et bien structuré par la société, et, en bref, pose des problèmes politiques). Le sens derrière l’expression « tout est politique » n’est donc pas celui qu’il croit déceler, et c’est parce qu’il ignore ce sens (parce qu’il a une culture politique située) qu’il en émet une critique elle aussi située (et en l’occurrence, située dans les choux)6.

Il y aurait donc beaucoup à dire sur son cas personnel, et nous l’avons déjà évoqué dans plusieurs de nos articles. Non pas parce qu’on est « juste méchant·e·s » et qu’on n’aimerait personne, comme lui (et d’autres d’ailleurs) semblent le croire, mais bien parce qu’il est 1- prolixe, 2- un influenceur conséquent du milieu, dont l’audience excède d’ailleurs largement le seul milieu sceptique, et moteur dans la dynamique du milieu sceptique, puisque son travail participe notablement aux idées qui y circulent; et 3- il tombe précisément dans les travers qui ont poussé certain·e·s d’entre nous à trouver pertinent de se rassembler en collectif pour en fournir une critique.

Pour celleux qui veulent creuser la manière dont Mendax incarne en particulier des dérives générales dont nous souhaitons fournir la critique, vous pouvez par exemple lire quelques-uns des articles du site Zet-Ethique – Métacritique :

Il y aurait eu de quoi le citer en exemple dans bien d’autres articles à vrai dire, mais il ne s’agissait pas tant de faire de l’acharnement ni de personnifier les problèmes que nous souhaitons mettre en avant que d’avoir des illustrations pratiques, et sa prolixité a l’avantage d’en fournir.

De la politique scientifique et éducative

De plus, les critiques politiques et scientifiques, si elles ne s’amalgament pas, s’articulent néanmoins autour de quelques points centraux : on peut par exemple questionner la cohérence d’un positionnement visant à critiquer la présence de complotistes (ou assimilés) et l’absence de défenseur·se·s de la vérité scientifique dans les discours médiatiques sans mettre en avant la question pourtant cruciale, et intimement liée, du marché économique de l’information journalistique et du système plus global dans lequel il s’insère (voir par exemple, cet article). Dans ce cas précis, focaliser son analyse sur la responsabilité journalistique exclusivement, ou sur le système capitaliste qui alimente ce marché économique là aussi exclusivement, serait une erreur et l’enjeu est bien d’avoir une vue plus intégrée du problème. Le choix de se restreindre à la première analyse dénote une erreur scientifique en plus d’un positionnement individualisant assez clair mais pourtant peu assumé.

De même, parler d’éducation à l’esprit critique ou à l’épistémologie, sans jamais en préciser les modalités et sans vraiment s’intéresser à la politique éducative à ce sujet (il y a pourtant des ressources accessibles à ce sujet) nous semble être un positionnement stérile, en particulier au vu des multiples réformes récentes, délétères pour l’enseignement des sciences et de l’esprit critique. De multiples acteurs et actrices des communautés éducatives et de recherche en éducation se sont élevées contre ces réformes, mais étonnamment, Acermendax, et bien d’autres sceptiques, n’ont pas semblé s’en inquiéter puisqu’iels ne se sont peu voire pas du tout positionné·e·s.

Ainsi, la prétention d’esquiver le terrain politique conduit à ne jamais aborder les problématiques sociales relatives à la production et la diffusion des sciences, ou à la diffusion de l’esprit critique, par récusation d’un « étiquetage politique ». Il n’est pourtant ici nulle question « d’étiquette », mais bien d’un positionnement local, sur des réformes ou des lois ciblant très spécifiquement les centres d’intérêts partagés par la communauté sceptique : les sciences, l’esprit critique, leur promotion et leur diffusion. Il s’agirait ainsi par exemple de s’intéresser aux conditions matérielles qui permettent l’enseignement de l’esprit critique, et à l’organisation politique qui garantisse ces conditions. Si on a vu la communauté sceptique s’élever contre la présence d’un régime d’exception pour l’homéopathie dans le Code de la Santé Publique, alors cela montre bien que le positionnement contre des textes législatifs absurdes et délétères pour les objectifs fixés et partagés par la communauté n’est pas censé poser de problème en principe.

Similairement, il semble illusoire de vouloir défendre « les sciences » uniquement sous l’aspect du contenu scientifique (par exemple « ne pas dire n’importe quoi sur les OGM »), quand celui-ci est totalement dépendant de ses conditions d’élaboration (notamment via les financements accordés aux différents champs ou thèmes de recherche). On a par exemple vu très peu de sceptiques (et en tous cas pas Acermendax) prendre la parole sur la Loi de Programmation de la Recherche, loi qui a pourtant été très massivement critiquée dans les milieux scientifiques, et ce à travers toutes les disciplines de recherche. De fait, vouloir « défendre les sciences » implique parfois aussi un positionnement tout à fait politique, qui n’est pas contradictoire avec une volonté d’objectivité scientifique. Au contraire, la passivité face à des réformes qui, selon la communauté scientifique elle-même, viennent entraver la production scientifique et mettre en péril l’objectivité de ses travaux, ainsi que la possibilité de fournir un enseignement supérieur de qualité à toutes et tous semblent indiquer que la communauté sceptique ne fait que peu de frais des conditions réelles de production et de diffusion des sciences dont elle se revendique pourtant fréquemment.

Mais la critique qu’on peut faire au milieu sceptique à propos de sa défense de « la science » ne se limite pas à cette tache aveugle à propos des implications politiques des conditions de création de la recherche. Même en cantonnant artificiellement la « promotion des sciences » des sceptiques au seul contenu scientifique, nous repérons de nombreux écarts entre les discours tenus et le corpus scientifique de plusieurs disciplines.

Des décalages entre les productions sceptiques et les recherches scientifiques.

Plusieurs prises de position et contenus produits par des sceptiques, notamment une partie de ceux réalisés par la Tronche en Biais, ne prennent pas en compte le tant promu « consensus scientifique » dans différentes disciplines académiques : sociologie, linguistique, histoire, anthropologie, communication, épistémologie, logique (formelle et informelle), sciences de l’éducation (didactiques notamment), psychologie (la présente liste à été dressée par des spécialistes de chacune de ces disciplines).

On peut par exemple s’étonner que de nombreux sceptiques ne citent pas, et semblent même ignorer l’existence, des nombreuses recherches contemporaines portant sur l’éducation à l’esprit critique… tout en s’en revendiquant. Il existe pourtant des recherches contemporaines récentes anglophones comme francophones, et en libre accès sur le sujet (voir par exemple, ici, et ), aux conclusions parfois très différentes de ce qui peut être promu par la communauté sceptique.

Nous constatons également que l’argumentation est un sujet abordé de manière récurrente dans les milieux sceptiques, notamment à travers le thème des sophismes et paralogismes, mais sans jamais s’appuyer sur le vaste corpus des études d’argumentation, par exemple en logique informelle ou en linguistique (une petite proposition de lecture…). Le traitement de ces sujets par certains donne l’impression que cela relève à leurs yeux de connaissances communes et partagées dans les milieux sceptiques et ainsi que les affirmations sur ce thème ne nécessitent pas d’être sourcées, ce qui est d’autant plus dommageable quand ce qui est présenté est manifestement erroné pour qui s’est un tant soit peu documenté sur la question.

Deux exemples:

Il existe pourtant un vaste corpus de recherche en logique contemporaine sur la question des fallacies (un exemple ici), ainsi qu’en linguistique sur celle des procédés rhétoriques (voir ici, par exemple). L’étude des raisonnements fallacieux ne s’est pas arrêté à Aristote ou Schopenhauer, et au sens strict l’ouvrage « L’art d’avoir toujours raison » de ce dernier ne parle même pas de raisonnements fallacieux mais de procédés rhétoriques, qu’il ne s’agirait de pas confondre.

De plus, la démarche de « neutralité politique » de certains sceptiques, ouvertement revendiquée par Acermendax dans son billet, est problématique du point de vue même de la littérature de recherche, et ce indépendamment des questions « purement politiques » déjà évoquées.

Il existe un vaste corpus de recherche, articles, ouvrages, etc, consensuel parmi différentes disciplines (sociologie des sciences, notamment le courant STS, mais aussi épistémologie et didactique des sciences), sur la question du traitement des questions socioscientifiques, c’est-à-dire les questions mêlant contenus scientifiques et enjeux de société. Ces questions (réchauffement climatique, homéopathie, « médecines alternatives », OGM, nucléaire…), abondamment traitées dans les productions sceptiques, ne sont pas des sujets strictement techniques ou scientifiques mais bien « socioscientifiques », en ce qu’ils mêlent inextricablement des enjeux technoscientifiques (« Qu’est-ce qu’un OGM ? », « Comment est censée fonctionner la radiothérapie ? »…) et des enjeux sociaux, politiques et économiques (« Pour quelles raisons des personnes doutent-elles de l’efficacité des vaccins ? », « Faut-il dérembourser l’homéopathie ? », « Faut-il promouvoir financièrement, réglementer, ou abandonner le nucléaire dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique ? »…).

Les questions socioscientifiques sont complexes, en ce qu’elles mêlent des acteurs divers, s’appuyant sur des arguments issus de plusieurs domaines de connaissance (avec les épistémologies et régimes de preuves associés), mais aussi des réflexions éthiques, morales, et des jugements de valeur. Les considérer du simple point de vue des technosciences, en ignorant les dimensions politiques et sociales, est ainsi, en plus d’être passablement réducteur, un complet contresens d’un point de vue scientifique, et une erreur grave pour qui se revendique de diffuser et promouvoir la démarche scientifique et l’esprit critique.

On notera d’ailleurs que la volonté de promouvoir un traitement des questions socioscientifiques comme telles, et pas comme seulement technoscientifiques, est justement une des motivations des recherches contemporaines en didactique des sciences. De fait, les interventions de « vulgarisation » qui justement promeuvent ce qu’on appellerait en didactique des sciences des représentations épistémologiques « naïves » sont tout à fait critiquables du point de vue scientifique, et pas seulement « politique ».

De même, promouvoir ce qu’on appellerait en psychologie cognitive une conception « absolutiste » des sciences (c’est-à-dire considérer que les affirmations sont soit vraies, soit fausses, sans plus de nuance) ou une posture « multipliste » des positionnements politiques (considérer que ces affirmations relèvent simplement d’opinions propres à chacun·e,  qu’on peut difficilement critiquer) est à l’antithèse de l’esprit critique, qui requiert une posture épistémologique dite « évaluativiste » (envisager les affirmations comme des jugements que l’on peut évaluer en fonction de divers critères).

Enfin, toujours sur la question du positionnement politique, en lien avec les problématiques d’enseignement des questions controversées, des recherches indiquent que la quête d’une « neutralité exclusive » est une chimère impossible à tenir. Vouloir afficher une prétendue « neutralité » sur des questions socioscientifiques controversées est donc en soi anti-scientifique. Notons par ailleurs que les diverses recherches citées dans ce paragraphe s’appuient toutes sur des contenus d’épistémologie et de sociologie des sciences récents, ce qui pose question sur la maîtrise ou la teneur des contenus de « philo des sciences » qu’Acermendax prétend vulgariser dans son billet.

Par ailleurs, sans même parler de la « Loi de Brandolini » bien connue dans la communauté sceptique, les recherches en didactique (notamment en didactique des sciences et des mathématiques) indiquent qu’il serait préférable de produire et diffuser du contenu déjà correct d’un point de vue scientifique, didactisé suite à une réflexion en amont de la diffusion, plutôt que de constamment laisser à d’autres le devoir de réagir et corriger des contenus erronés d’un point de vue scientifique, en ce que cela diffuse des conceptions erronées quant aux objets de savoir en jeu. Ainsi, diffuser des contenus véhiculant (à notre corps défendant) des conceptions erronées, tant du point de vue des représentations épistémologiques, de la méthode, et du contenu, est, au sens strict, nuisible pour les apprentissages ultérieurs de contenus plus avancés. S’il ne s’agit évidemment pas d’arrêter de produire des contenus sceptiques, il serait en revanche question d’accorder tant leur démarche que leur contenu à la littérature scientifique sur les sujets concernés, sous peine de faire partie du problème que l’on cherche à combattre. Pire, on peut supposer que les conceptions erronées, si elles sont véhiculées par des personnalités « sceptiques », sous couvert de « vulgarisation », seront d’autant plus résistantes à la réfutation par la suite. Il s’agirait ainsi de prendre en compte les recherches scientifiques en didactique, sans évacuer des critiques pourtant fondées scientifiquement d’un dédaigneux revers de main.

En outre, lorsqu’on a la prétention de vulgariser, au lieu de développer des contenus non-scientifiques (par exemple la Cible de Graham, popularisée par le Chat Sceptique, qui n’est, rappelons-le, pas un contenu scientifique), ou des contenus produits par d’autres vulgarisateurs (comme cette vidéo de MrSam? qui ne cite que d’autres vidéos YouTube), il serait préférable de chercher des bases scientifiques à vulgariser en sourçant les vidéos et les affirmations qui sont faites par des sources primaires, en les confrontant à la littérature scientifique sur la question. On peut notamment évoquer, parmi d’autres, le traitement (très hâtif) qui est fait de l’entretien épistémique, de la hiérarchie des preuves (dépassée, et souvent employée hors de son domaine de validité), l’évocation de « la méthode scientifique » au singulier (particulièrement problématique d’un point de vue épistémologique), ou l’opposition dichotomique entre croyances et connaissances (dépassée depuis longtemps en philosophie des sciences). Pas plus que les travaux sur l’argumentation ne se sont arrêtés à Schopenhauer, la philosophie des sciences ne s’est arrêtée à  Popper.

La démarche qui est la nôtre est de se baser sur des contenus scientifiques robustes, pour toutes les disciplines académiques. Non, nous n’estimons pas comme semble le croire Acermendax « qu’on ne fait rien de bon quand on a une approche différente de la [nôtre] », nous attendons seulement que les contenus produits par les sceptiques soient sourcés et, a minima, en accord avec la littérature scientifique, puisque c’est ce qui est explicitement revendiqué par Acermendax comme par d’autres.

Retour au point de départ : une analyse rhétorique de l’article d’Acermendax

Nos positions critiques étant rappelées, nous pouvons rapidement revenir sur le billet de Mendax lui même, et, tant qu’à faire, produire une petite analyse de sa rhétorique. Mendax a beau jeu de promouvoir l’esprit critique, mais ce billet cumule superbement les torts d’une rhétorique tordue. En l’occurrence, et puisqu’il aime la chasse aux « sophismes », faisons-lui une concession, pour cette fois, et voyons si dans son texte le gibier est abondant :

  • Répondre aux « sceptiques des sceptiques » sans reprendre nommément aucune critique spécifique qu’on aurait effectuée permet d’enchainer les hommes de paille. C’est certainement en partie lié à son incompréhension de nos critiques, mais une bonne pratique serait de commencer à repartir des écrits et preuves (par ex. Zet-Ethique – Métacritique met des captures et liens vers les propos critiqués dans les articles – cela a également été fait dans le présent billet) plutôt que de ce qu’on a condensé vaguement dans sa tête et cru comprendre, pour éviter ce travers. Par exemple, lorsqu’il dit « il y a dans la posture critique des sceptiques-sur-les-sceptiques une injonction dérangeante et agonistique qui exige que les individus acceptent d’être rattachés à une étiquette politique pour avoir le droit de s’exprimer », c’est vraiment un homme de paille (certes, probablement involontaire, ici), comme nous l’avons déjà expliqué ci-avant.
  • Amalgamer les critiques. Lorsqu’il écrit « La critique vient de personnes qui semblent avoir de réelles compétences, notamment en sciences sociales. Ce sont des militants en premier lieu motivés par leurs idées politiques, notamment anticapitalistes. », il amalgame des personnes ayant contribué à la présente réponse qui sont effectivement issues des SHS mais formulent des critiques sur le fond scientifique de ses productions seulement, et d’autres qui produisent des critiques essentiellement politiques. Cela permet de faire un très commode déshonneur par association (assez discret, car capitalisant sur un préjugé de son audience, ce qui permet de ne pas à avoir le formuler explicitement), puisque ceux qui portent une critique ouvertement militante et politique souffrent d’un discrédit de la part d’une frange des sceptiques. Cela permet également de mettre sous le tapis les critiques qui portent sur le fond scientifique, rappelées plus haut (en résumé, une ignorance voire une déformation des travaux en SHS), et de les balayer au nom d’un simple « désaccord d’opinion ».
  • Lorsqu’il rappelle, parlant de lui et ses collaborateurs, que « les fachos du net nous considèrent comme des gauchistes invétérés, certains militants gauchistes nous voient comme hyper compatibles avec le fascisme » (c’est un argument qu’il aime beaucoup, celui-ci; il le sort très souvent), indiquant implicitement que c’est parce qu’il doit probablement tenir une position…  de juste milieu (or, le juste milieu est un paralogisme). La phrase suivante : « mais une bonne majorité des gens ne cherchent simplement pas à identifier notre opinion politique quand nous produisons une vidéo sur la chloroquine, les pyramides, les dérives sectaires ou la philo des sciences. Ils évaluent nos contenus selon d’autres critères ; ils ont bien raison. » ne sert en fait qu’à enfoncer le clou… On pourrait paraphraser par « notre position n’est pas si partisane, la preuve, elle ne dérange pas la plupart des gens [NB ad populum ici, paf], si on exclut la minorité partisane ». On voit qu’il a beau jeu de par ailleurs préciser qu’il sait qu’il n’est pas neutre, avec une affirmation pareille : l’implicite est que ses positions le sont bien assez pour les gens « raisonnables ».
  • Lorsqu’il écrit « ça ne change rien à ma manière de leur expliquer ce qu’est un biais cognitif, une méta-analyse ou un raisonnement circulaire » en parlant du fait que ses idées politiques n’ont pas toujours un effet sur son contenu, il se prête à un biais de cadrage, puisqu’il occulte tous les sujets qu’il traite et qui sont directement politiques7. On lui accordera que n’ayant pas compris le sens de l’expression « tout est politique », sa réponse ne pouvait que tomber à coté, mais nous ne passerons pas sur le fait qu’en pratique, il traite bel et bien de sujets politiques en ignorant les enjeux et en croyant que « se limiter aux faits » suffit à les traiter correctement (cela est d’ailleurs exprimé totalement explicitement dans cet extrait).  En pratique, rien que la sélection des faits auxquels on choisit de se limiter (car on ne peut pas tout traiter) n’est pas neutre.
  • Il se livre à un double standard quand il dit « ceux qui nous toisent du haut de leurs convictions en estimant qu’on ne fait rien de bon quand on a une approche différente de la leur ne peuvent pas espérer sérieusement qu’on leur accorde du temps et de l’énergie. »8 puisque lorsqu’il passe son temps à débunker des « croyances », il fait exactement cela avec les « tenants » : toiser du haut de ses convictions en estimant qu’on ne fait pas grand chose de bon quand on a une approche différente de la sienne (autrement dit, pas scientifique), tout en espérant que ces tenants accordent du temps et de l’énergie à ses productions. Nous avons conscience que nos critiques peuvent être mal prises, et que notre ton puisse avoir un goût de « donneur·se·s de leçons ». Cependant, il n’y a pas vraiment de bonne manière de faire une critique d’un travail sans donner l’impression de donner des leçons. C’est le jeu du scepticisme, et qui s’en réclame devrait être prêt·e à en recevoir, des leçons, aussi désagréable que cela puisse être. Il y a malgré tout lieu de souligner que certain·e·s adeptes de l’esprit critique semblent trouver déplaisant de le voir appliqué à elleux-mêmes – malgré, on les a bien vues, les pétitions de principes qui expriment que bien sûr, on tombe soi-même dans les erreurs qu’on reproche aux autres et qu’il faut aussi faire un travail sur soi-même. En dépit de ces pétitions de principes, on attend vraiment de voir cette « capacité à se remettre en question » dans les actes. Cette incohérence mériterait sans doute quelque introspection.
  • Il se prête enfin à une dernière pétition de principe quand il dit « Le respect que j’ai pour leur démarche, ils ne l’ont pas pour la mienne. ». Il a pour principe de respecter notre travail, c’est bien beau9. Mais quand on voit l’enchaînement des stratégies rhétoriques ci-avant, cela se traduit bien mal dans les actes.
Bon ben on rentre au camp,
la chasse a été bonne.

Mendax conclut par « Désormais, sur les réseaux sociaux, les notifications sont tellement envahissantes que le bouton bloquer est devenu un outil nécessaire. Je ne rechigne plus à en faire usage ». Il est utile de savoir que certain·e·s d’entre nous ont porté des critiques étayées et polies de longue date, sur la page Facebook de la TeB, de l’ASTEC, ou dans les commentaires du blog la Menace Théoriste, sans que ces critiques n’obtiennent jamais de réponses ou ne soient prises en compte. Parfois, des réponses étayées dans un sous fil étaient même ignorées quand les attaques non étayées figurant juste avant ou juste après, elles, recevaient des réponses. C’est un travers classique que l’on trouve dans les sphères sceptiques : la chasse aux erreurs conduit à sauter sur les mauvais arguments, et à ignorer les bons. Ainsi, c’est bien beau de prétendre ne vouloir répondre que lorsque les commentaires sont travaillés, encore faudrait-il commencer par le faire10.

En guise de conclusion: et maintenant?

Nous n’avons pas beaucoup d’espoir sur la possibilité que Mendax lise ce billet attentivement. S’il nous lisait vraiment lorsqu’on argumente, nous n’aurions pas affaire à autant d’hommes de paille à notre sujet. S’il prenait vraiment en compte les critiques, nous n’aurions même pas eu besoin de rappeler au long de ce texte tout ce qui nous semble problématique dans sa démarche. Nous espérons tout de même que ce billet soit l’opportunité de mettre sur la table ces incompréhensions récurrentes, et de voir nos critiques à un moment prises au sérieux par ceux qui ne le font pas encore.

Rédacteur·ice·s : annoyinganoia, Bunker D, Ce N’est Qu’une Théorie, Faust, Gabriel Pallarès (DrBaratin), Gaël Violet, Germain Clavier,  Le Patient Zéro, Lucie Tréto, Omar El Hamoui (Le Malin Génie), Vinteuil, et quelques contributeurs anonymes du collectif Zet-Ethique – Métacritique.

Signataires solidaires : Antoine Pyra, Dorian Chandelier, Kumokun, Patchwork, Ricardo Davalos, Tankietfield, Émeric Tourniaire

  1. Thomas C. Durand ayant modifié son article suite à la publication de celui-ci, afin que vous disposiez du contexte dans lequel le nôtre a été publié, nous avons remplacé le lien par celui de l’archive de l’article original. Les différences entre les deux versions sont soulignées ici.
  2. Cette attitude d’attaquer sans nommer est au reste, souvent traité comme un badge de fierté dans le milieu sceptique (et ce n’est certes pas exactement le cas ici, mais le fait d’attaquer un groupe vague et sans désigner personne aboutit au même effet sur le plan pratique). Il est souvent justifié par un slogan qui lui-même n’est jamais argumenté bien loin: « il faut juger/attaquer les idées et pas les gens ». Or, un slogan en lui-même, quand bien même serait-il répété inlassablement, est une raison bien faible pour ne pas se poser la question des implications de cette attitude (la seule justification extérieure qui soit jamais invoquée, la peur du paralogisme de l’ad hominem, est basée sur une incompréhension de ce qu’est ledit paralogisme, et ne change rien à notre argumentaire, puisque cette mauvaise compréhension est basée sur un postulat commun, qui est justement ce que nous critiquons ici: la possibilité de critiquer les idées indépendamment d’une critique de qui les défend). Les idées en elles-mêmes ne font rien si elles ne sont pas défendues, et la place qu’occupent les gens qui les défendent conditionne évidemment la manière dont une idée se traduit dans l’action. Donner ce style de primeur aux idées est la définition la plus stricte qu’on puisse donner à l’idéalisme, et ce n’est pas un petit problème dans un milieu qui se pique de « matérialisme ». De fait, évacuer le plan personnel, c’est traiter des idées en masquant les enjeux de pouvoir qu’elles traduisent. Là-dessus, nous vous renvoyons à cet excellent thread de Joao Gabriel (l’auteur du Blog de Joao) qui parle de cette question dans le cadre de cette attitude au sein de la gauche politique, mais dont un sceptique pourrait lui-même tirer profit.  On remarquera par ailleurs qu’il n’est pas si problématique de ne pas attaquer les idées indépendamment des gens qui les incarnent : si des idées sont peu problématiques, alors l’attaque n’est pas nécessaire. Si des idées sont très problématiques, alors il importe de savoir à quoi s’en tenir avec les personnes qui les défendent – en plus de ce que nous disions au-dessus, sur le fait qu’être au clair sur qui défend ces idées est important pour savoir quelle puissance effective elles peuvent avoir dans la société.
  3. Notez que la question héliocentrisme vs géocentrisme était par contre très politique à l’époque de Galilée. L’Héliocentrisme était un modèle en vogue parmi les astronomes et dont les religieux n’avaient pas grand chose à faire jusqu’à ce que Galilée l’amène dans le débat public (sans preuves solides, ou alors peu convaincantes) dans un contexte de contre-réforme (là où la plupart de ses soutiens lui disaient de ne pas le faire). On pourrait aussi bien arguer que Galilée a en fait été relativement contre-productif, en amenant ces thèses dans un terrain que les aléas de l’histoire avait rendu relativement hostile (c’est la compréhension qu’en avaient beaucoup d’astronomes de l’époque) ou qu’il a précipité les choses, dans le bon sens, hâtant un processus qui aurait traîné en longueur (c’est ce que notre pouvoir rétrodictif nous permet de penser maintenant). C’est ce qui en fait un bon exemple des interactions entre la production scientifique et le reste de la société : la neutralité ou non-neutralité découle notamment de la manière dont la présentation des faits peut interférer avec des enjeux de société
  4. Devons-nous expliquer pourquoi on ne juge pas de la même manière la pertinence d’une technique quand on privilégie, par exemple, la question de la productivité ou celle, très différente, de l’autonomie qu’elle permet ?
  5. EDIT Cette dernière phrase a été éditée pour clarifier le propos. Elle était, dans sa version originale : « Extrême droite à laquelle Acermendax a déjà servi la soupe, en se rendant chez elle, ou en la recevant. »
  6. C’est en outre un choix curieux, parce que rares ont été les occurrences où ce vieux slogan a été invoqué dans des échanges critiques à Acermendax. Du moins, serait-il curieux, s’il n’était pas utile d’un point de vue rhétorique : comme c’est un slogan et donc la forme très ramassée d’une thèse, il peut choisir d’ignorer, tant sa forme développée, que l’argumentaire qui la soutenait. En bref, il est autrement plus aisé de faire passer un homme de paille pour légitime devant un public mal informé (et le public qu’Acermendax a cultivé pendant toutes ces années est mal informé, quand il l’est, sur ce genre de questions) quand on se contente de reprendre la forme d’un slogan : on n’invente rien, le slogan existe ; on se contente, ahlala quelle distraction, d’en soustraire son sens. C’est aussi une occasion ratée de répondre à de vraies critiques par l’entremise de ce slogan, car si, à nouveau, ce n’est pas un slogan qui a été beaucoup mobilisé dans la critique tant d’Acermendax en particulier que dans celle du milieu en général, il s’applique aussi très bien à la distinction artificielle – et conservatrice – entre un problème politique et un problème technologique. Mais évidemment, pour cela, il eût fallu le prendre au sérieux, au lieu de le réduire à une caricature narquoise.
  7. En passant d’ailleurs sur le fait que si, justement : son refus de prendre en compte le caractère contextuel des « biais », par exemple, et donc leur dimension socio-politique, l’empêche de « leur expliquer » correctement ce concept. Là encore, on rentre dans une critique proprement scientifique: dans la littérature scientifique, les « biais cognitifs » correspondent à des emplois erronés d’heuristiques fonctionnant très bien la plupart du temps, et seule une approche tenant compte du contexte permet de comprendre quand, comment, et pourquoi elles échouent dans certains contextes.
  8. Le double standard n’est du reste pas la seule chose à laquelle il se livre ici. Pour toiser de haut, il faut encore être dans une position de dominance, et l’assise que lui donne sa position de plus connu des vulgarisateur·trice·s sceptiques ne se compare pas à notre propre situation.
  9. Nous sommes d’ailleurs ravi·e·s de l’apprendre; il était difficile de le deviner tant la seule réponse qu’il ait jamais apportée à quelque critique que ce soit, sur quelque ton que ce soit, a toujours été le mépris.
  10. Pour insister : nous le savons, que vous admettez ne pas être parfait·e·s et que ça n’est pas une raison pour pas promouvoir du mieux. C’est un argument valide, on peut produire sans que ce soit parfait. Le problème ce ne sont pas les erreurs, mais vraiment le fait de limiter la « remise en question » à des pétitions de principe. Les actes qu’on veut voir : cesser d’abuser de rhétorique ; d’accuser « les autres » de présenter le débat comme une opposition manichéenne et stérile entre gentils et méchants et, par là-même, reconduire l’opposition fustigée en la renversant ; de s’aventurer hors de son champ de compétence ; ne pas définir les termes du débat, quand ce n’est pas carrément choisir les définitions qui arrangent ; esquiver les argumentations étayées qu’on oppose ; ignorer la portée de son propre discours ; être en excès de confiance… Il est désolant de découvrir, chez celles et ceux qui clament militer pour l’esprit critique, d’immenses lacunes philosophiques et scientifiques. Où sont les fondements théoriques qui soutiennent toutes ces prises de paroles sur des questions sociales ? Croit-on vraiment qu’une démarche empiriste suffise à structurer rigoureusement toutes les formes de jugement et de pensée ? Est-on si aveuglé·e par le fantasme de cette Méthode Scientifique imaginaire que l’on finit par s’autoriser à produire tout un tas de discours sur l’être humain ? Que l’on se croit capable de penser hors de tout système de valeurs (conscient et inconscient) ? Comment peut-on faire preuve d’une telle naïveté quand on ose prétendre éduquer les gens ? Il va falloir se former sérieusement soi-même.
Share

52 Comments

  1. ISlovan Reply

    Intéressant, mais c’est bien long et peu synthétique tout ça…
    Malgré tout, c’est nettement plus nuancé que les propos (des mêmes auteurs de ce texte) tenus parfois sur Twitter, alors rien que pour cette raison, c’est appréciable.
    Et là, avec cette nuance inattendue, vous avez quelques arguments qui font mouche. Est-ce l’écriture collective qui a élevé le sujet ?

    On est tellement loin de cette condescendance exprimée dans les commentaires de Mendax, comme « c’est d’une naïveté confondante, à la mesure de vos lacunes épistémologiques ».

    1. Rémi Reply

      Si vous vous contentez des réponses en dessous d’un message sans allez voir le reste de la production des auteurs, alors que Twitter foisonne de thrid très long de leur part que ce blog existe, si en plus quand vous tombé sur une critique étayé vous reprochez que c’est pas synthétique, ben merde c’est à vous de vous remettre en question aussi non?

      Je veux dire, supposez un ignorant en physique (c’est mon cas par exemple), ben il m’a fallu lire des trucs longs et plein de vidéo pour piger la relativité dans l’idée (pas dans l’ensemble du tout, genre pas les calculs). Et ce n’est qu’un aspect de la physique.

      Vous croyez que piger les sciences politiques ou la didactique ou n’importe quelle science citée plus haut en revanche on peut se passer de la complexité du truc? Quand on y connait rien (c’est aussi mon cas mais un peu moins qu’en physique), c’est pareil en fait, faut bosser et ça ne saurait se synthétisé, comme on ne peut pas synthétisé complètement la relativité pour qu’elle soit clair

      A ce titre la citation « c’est d’une naïveté confondante, à la mesure de vos lacunes épistémologiques », est comparable au commentaire qu’on ferait à un platiste qui se targuerait d’avoir une chaine de vulga grand public pour expliquer les lois physiques. On serait très agacé et oui on se contenterait dans le commentaire direct de dire « putain mais vous y connaissez rien et vous l’ouvrez grand! » parce que le taf de débunkage est long et brandolinesque et donc il est nécessairement décalé et souvent déporté vers d’autre support que les réseaux sociaux. Mais il est facilement trouvable si on veut le voir vraiment.

      1. PL Reply

        Mille fois oui. DIx-mille fois oui en fait. Non, cent mille fois oui.

        Parfois, on craque, et on leur dit qu’ils font de la merde en commentaire parce qu’ils sont aussi mauvais sur les sujets sociaux qu’un platiste l’est en physique. Pas plus compliqué que ça.
        Et on développe ailleurs

    2. Gaël Violet Reply

      Vous savez, ISlovan, c’est l’avantage d’être « bien long »; ça donne précisément le temps de la nuance que même un thread twitter ne permet jamais totalement.

      Pour ce qui est de la condescendance, c’est assez dingue que vous interprétiez une réaction à la condescendance de l’article de Thomas C Durand pour de la condescendance. Le fait de torcher comme il l’a fait une réponse à la va-vite, qui ne dit rien de précis et vise tout le monde à la volée et personne en particulier, tout en ne répondant à aucun argument réel qui lui a jamais été donné, le tout, avec le petit ton de l’aigle bien au-dessus de tout ça: ça, c’est de la condescendance.

      1. 42 Reply

        Peut être que le problème c’est le médium twitter. En l’état, il est impossible de différencier un commentaire excédé de quelqu’un de pertinent d’un commentaire basé sur rien du tout. Je pourrais faire exactement le même commentaire en ayant le niveau d’une huître en sciences sociales. Et par ailleurs ça semble ne pas être très efficace ( ne serait ce que parce que ça peut être pris pour cible par un homme de paille justement).

        Et sinon, vous avez quoi contre la cible de Graham? C’est schématique, mais ça reste un bon moyen d’évaluer la qualité d’une argumentation. Vos liens n’appuient pas vos propos.

        1. Gaël Violet Reply

          C’est une question pour le Dr Baratin, du coup. Mais si, les liens appuient notre propos: en marquant la différence entre ce que disent les sciences concernées et ce que balance le Chat Sceptique.
          Et justement, y voir un « bon moyen d’évaluer la qualité d’une argumentation » est passer par-dessus la réalité des sciences impliquées dans l’étude de l’argumentation telles qu’elles se font.
          Maintenant si vous attendiez une critique scientifique de la cible de Graham en lien, évidemment que vous ne pouviez en être que pour vos frais: la cible de Graham n’est pas discutée, en bien ou en mal, dans les sciences concernées. Elle est ignorée, parce qu’à part deux-trois banalités justes, elle n’est jamais qu’un montage par un statisticien (qui n’a pas de compétence dans le domaine) d’un petit article de blog d’un informaticien (pas non plus compétent).

          1. 42

            A mon sens la cible de Graham est surtout une représentation d’un but moral. La question à laquelle ce graphe cherche à répondre est : « Comment devrait on argumenter? « . Il s’agit d’une question morale et d’une réponse déontologique à cette question.

            Dès lors, j’ai du mal à voir ce que les sciences de l’argumentation peuvent apporter. On doit pouvoir discuter de l’efficacité des différentes méthodes d’argumentation. Peut être qu’effectivement insulter son interlocuteur est plus efficace qu’essayer de cerner le point central de son argumentation, et y répondre. On aurait alors un dilemme moral , la méthode la plus efficace pour convaincre n’étant pas la « bonne » méthode. Mais j’ai du mal à envisager quelle pourrait être une critique de la cible de Graham « scientifique ».

            Je n’ai pas l’impression que le chat sceptique ne prétend que cette méthode est scientifique. Il dit juste que c’est la méthode qu’on doit viser pour avoir une bonne argumentation.Le mot « bonne » est à prendre au sens moral, non au sens d’une efficience pour un but quelconque. Il admet d’ailleurs que faire un homme de paille est probablement une méthode d’argumentation efficace pour convaincre.

          2. Gaël Violet

            Hum. Là vous venez de totalement changer d’affirmation – il ne s’agit plus du tout « d’évaluation de la qualité d’une argumentation ». C’est toujours mauvais pour ce but mais ce n’est plus la question initiale: on sort de l’évaluation pour rentrer dans celui du jugement. Point supplémentaire pour le faux dilemme (vous saviez qu’il existe d’autres options que « insulter son interlocuteur » ou « cerner le point central de son argumentation »? Ce dernier point étant justement un des aspects où les sciences qui s’occupent d’argumentation ont énormément à dire, d’ailleurs, tant le problème y est mal posé?).
            Quant à « ne pas prétendre que cette méthode est scientifique », soit, mais ça n’est pas un blanc-saing pour raconter n’importe quoi.

        2. DrBaratin Reply

          Tout dépend ce qu’on entend par « bon » moyen pour évaluer l’argumentation. La Cible de Graham est facilement utilisable, certes. Ca n’en fait pas un moyen robuste d’évaluer l’argumentation. En étant très charitable, on peut dire que la Cible permet « d’évaluer » une fraction très spécifique de l’argumentation, qui serait l’argumentation épistémique. Ca reste très réducteur, et on peut trouver dans la littérature des critères d’analyse bien plus pertinents et faciles à appliquer, comme ici https://anekawarnapendidikan.files.wordpress.com/2014/04/a-systematic-theory-of-argumentation-by-frans-h-van-eemeren1.pdf par exemple.
          Cela étant dit, la Cible ne permet aucunement d’analyser à peu près tous les autres modes d’argumentation (détaillés par exemple dans cet article : https://journals.openedition.org/recherchestravaux/1617). Ce qui limite considérablement son usage pour évaluer des pratiques argumentatives « courantes ». A ce propos, il est d’ailleurs assez difficile de discerner précisément dans le dialogue les moments « purement argumentatifs », et de nombreuses recherches sur les types de dialogue indiquent qu’on ne peut pas si facilement considérer un dialogue comme « purement argumentatif » (https://utorontopress.com/us/the-new-dialectic-2)
          En résumé, le domaine de validité de la Cible de Graham est particulièrement restreint, et même au sein de son domaine de validité elle représente une modalité d’évaluation très réductrice…

      2. Azerty Reply

        « Le fait de torcher comme il [Thomas C Durand] l’a fait une réponse à la va-vite, qui ne dit rien de précis et vise tout le monde à la volée et personne en particulier, tout en ne répondant à aucun argument réel qui lui a jamais été donné, le tout, avec le petit ton de l’aigle bien au-dessus de tout ça: ça, c’est de la condescendance. »
        Vous avez tout dit. Bravo Gaël Violet.

  2. L'homme carton Reply

    Bonjour

    Que c’est long…il me semble qu’un article plus court aurait été plus percutant (J’avoue avoir sauté quelques paragraphes et avoir un peu tiqué lorsqu’ vous faîtes un rapprochement entre M Durand et l’extrême droite…)

    Bref, je prends autant de plaisirs à regarder une vidéo de Patchwork…ou de la tronche en biais.
    J’ai aussi lu plusieurs articles de ce blog que j’ai bien appréciés

    Je remercie tout ces contributeurs (et trices:) qui ont pu me faire évoluer, m’interroger et qui font d’internet un lien d’émancipation.

    Mais que diable, ne dépensez plus votre temps et votre énergie à produire des articles et des threads sans fin sur M Durand. Les positions des uns et des autres étant établis, œuvrez plutôt vers un objectif commun : une éducation populaire de qualité. Vous en avez tous les capacités il me semble 🙂

    Donc au travail, votre public vous attend ! 🙂

    Bien cordialement

    1. PL Reply

      Ce n’est pas une histoire de « position », genre « chacun ses goûts ».

      Quand une chaîne forte de dizaines de milliers d’abonnés sort de son domaine de compétence et véhicule des idées au mieux maladroites, au pire contre productives pour ce qui est de l’éducation à l’esprit critique, il est normal de le pointer et de le corriger. Et il faudra recommencer autant de fois que nécessaire.

    2. Gaël Violet Reply

      Bonjour.

      Pardon de vous corriger, mais « nous » ne faisons pas un rapprochement entre l’extrême-droite et Thomas C. Durand – il s’en est chargé lui-même (quelques liens l’illustrent dans le corps du texte).
      J’ajouterais cependant qu’il est important de souligner que nous n’assimilons pas Thomas C. Durand à l’extrême-droite; nous sommes même prêts à lui reconnaitre qu’il est de gauche (c’est du reste, dit dans le présent article). En revanche, au cours de sa carrière, il a eu l’occasion répétée de montrer que ses convictions politiques n’étaient pas si solides qu’il en vienne à refuser de « servir la soupe », comme il est dit dans l’article, à des personnalités d’extrême-droite ou proches de l’extrême-droite, avec une désinvolture plus que déplacée. C’est ce que nous avons souligné – ni plus, ni moins.

      Pour ce qui est de ce que vous voyez du présent article, j’attire votre attention que cet article n’est pas simplement un « article sur M. Durand »; le billet de Thomas C. Durand a surtout été pour nous l’occasion pour nous réunir et synthétiser nos critiques du milieu sceptique (dont la grande majorité d’entre nous se réclame) en général, dans le but précis qu’il en tire les leçons et s’améliore. Pour faire pour une fois preuve d’optimisme, à titre personnel, j’ai très bon espoir qu’il en soit capable – et j’irais jusqu’à dire que si on est encore loin de ce que j’en attends (et loin de ce qu’il a été) la dynamique est plutôt bonne.

      Il est vrai que si cet article avait été une simple réponse à l’anémique billet qui lui a servi d’occasion, il aurait été beaucoup trop long; pour le but qu’il s’est fixé, en revanche, faire court aurait été au coût de sa précision, et c’est justement une chose que nous voulons améliorer.

      Il est vrai aussi que si vous lisez cet article comme une polémique ou une querelle d’egos, ce qu’il n’est pas, vous ne risquez pas de cerner ses buts. Et si votre but est d’oeuvrer pour une éducation populaire de qualité, conseils pour conseils, je peux vous donner celui-ci: ne rapportez pas des critiques argumentées à des questions de querelles personnelles. Même répondre à Thomas C. Durand n’a pas grand chose à voir avec sa personne, mais avec la position qu’il occupe dans la communauté, et l’urgence qu’il y a à critiquer une figure qui peut, par son audience, y impulser une dynamique, qui pour l’instant hélas, n’est pas positive.

      Quant à œuvrer dans le but de fonder une éducation populaire de qualité, deux choses. Tout d’abord, « éducation populaire apolitique » est un oxymore; si Thomas C. Durand veut s’y mettre, il est le bienvenu (je ne prends pas un gros risque en supposant que dans la bande de mécréants qui a rédigé cet article, aucun ne croit au péché originel), mais pour l’instant, son neutralisme affiché n’est pas compatible avec l’idée d’éducation populaire.
      Ensuite, poser des bases à une éducation populaire de qualité, c’est justement ce que le présent article, et ses signataires, s’attellent à faire (que ce soit sur ce blog ou à travers leurs productions personnelles).

      1. L'homme carton Reply

        Bonjour
        Merci pour cette (longue 🙂 réponse.
        Par éducation populaire(mais ce n’est peut être pas le bon terme), j’entendais plutôt la réalisation de vidéos ou de textes accessibles à tous ce qui passe par une simplification des formats (vidéos plus courtes et plus pédagogiques etc). Cela vous permettrait je pense de diffuser plus largement vos idées.

        (Et, désolé, mais j’ai quand même l’impression à vous lire que vous faites une fixation sur M Durand 🙂 )

        Bref, je continuerai à vous suivre avec intérêt.

        Bonne continuation.

        1. Gaël Violet Reply

          Que vous dire, sinon que nous ne sommes pas comptables de l’impression que vous avez de nous? J’ai été clair, mais évidemment, si vous voulez nous voir « fixés sur M. Durand », tant pis.

          Bonne journée.

          1. L'homme carton

            Bon j’ai tout lu finalement et ce fut bien intéressant (mais vous faites quand même une fixation sur M Dur…(je plaisante 🙂

            En tant qu’enseignant, quelques passages m’ont particulièrement intéressé.
            Serait-il possible d’avoir des éclaircissements sur les points suivants (peut-être dans de futurs articles ?) ou des liens vers des articles qui en font la synthèse (en français…)

            – Vous écrivez : « On peut par exemple s’étonner que de nombreux sceptiques ne citent pas, et semblent même ignorer l’existence, des nombreuses recherches contemporaines portant sur l’éducation à l’esprit critique… aux conclusions parfois très différentes de ce qui peut être promu par la communauté sceptique. » : Quelles sont ces conclusions ?

            – Vous indiquez à un moment que l’échelle de preuve est à revoir (j’imagine que vous parlez du classement entre témoignage rapporté, étude scientifique etc). Que proposeriez vous à la place pour travailler avec des collégiens ?

            – Vous précisez que l’opposition entre croyance et connaissance est problématique. Une approche telle que celle proposée par M Lecointre vous paraît-elle plus adaptée: https://www.monvoisin.xyz/question-recue-lenigmatique-tableau-de-guillaume-lecointre/

            merci

            Bien cordialement

          2. Gaël Violet

            Haha, j’avoue, vous m’avez fait sourire, et j’en avais bien besoin. 😀

            Je vais répondre à vos seconde et troisième question, il y a parmi les rédacteur.ice.s bien plus qualifié.e.s que moi pour répondre à la première (mais je vais tâcher d’attirer leur attention sur votre question; attention cependant, contrairement au vieux précaire que je suis, à qui il reste le luxe du temps, elleux sont des enseignant.e.s/chercheur.e.s et il est fort possible que leur réponse prenne du temps).

            Pour la seconde il y a aussi plus qualifié que moi dans l’équipe de rédaction de cet article, mais j’ai quand même une demi-bonne nouvelle, puisqu’on parle sérieusement d’écrire un article pour le présent blog sur ce sujet. Je dis « demi » parce qu’il n’y a hélas pas de « bonne » pyramide, rien d’équivalent qui marche avec toute les sciences, et c’est justement le (très) gros problème qu’il y a à s’en servir; mais du coup, j’ai peur qu’on ne puisse pas vraiment vous fournir quelque chose de suffisamment schématique pour des collégiens – juste vous dire qu’en tout cas, la « pyramide des preuves » reste une représentation datée mais à peu près bonne dans son domaine très restreint de validité (les tests biomédicaux), et est totalement inadaptée à peu près partout ailleurs.

            Pour ce qui est du tableau de Guillaume Lecointre, non, il ne répond pas à notre critique. Il oppose, lui aussi, croyance et connaissance (en fait, il multiplie juste les divisions, en distinguant « croyance », « croyance religieuse » et « opinion », chacune de ces distinctions posant par ailleurs problème; sans parler de ce qu’il dit ce qui a, ou n’a pas, de « justification rationnelle »), ce qui est une conception erronée de ce qu’est une connaissance. Une connaissance est une croyance, c’est plus précisément un cas très particulier de croyance. Le vieux modèle épistémologique « une connaissance est une croyance vraie justifiée » a certes été mis en crise par l’article d’Edmund Gettier de 1963, « Is Justified True Belief Knowledge? », mais ce n’est pas le statut de la connaissance comme cas particulier de la croyance qui a été remis en cause – c’est la possibilité d’obtenir formellement une certitude d’avoir une justification suffisante. Pour le reste, c’est toujours vrai que pour avoir connaissance de quelque chose, il faut croire cette chose (c’est assez trivial, en fait, si vous y réfléchissez). Notez que je prépare aussi (même si ce n’est pas en ce moment en haut de la liste) un article (un peu humoristique, pour contourner la sécheresse habituelle des articles d’épistémologie générale de l’école analytique) sur les Fantastiques Aventures de Gettier et de la Connaissance (tiens, je tiens peut-être mon titre, là).

            J’ajoute que les débuts de sa conférence flatte certes mon côté anti-calotin, mais en revanche, il oppose la religion au savoir scientifique à la hache, en s’appuyant sur Condorcet soit, mais l’histoire – notamment des sciences et des religions – a pas mal progressé en fait, depuis le XVIIIème siècle, qui n’est d’ailleurs pas la meilleure époque pour la littérature historique. Pareillement, je ne suis pas étonné qu’il s’appuie sur Merton, mais la sociologie des sciences de Merton est dépassée, et surtout la citation qu’il met en exergue appartient à un projet mertonien auquel je ne souscris pas: faire de la sociologie des sciences un outil de glorification des sciences (et je ne crois pas que le but des sciences socio-historiques soient de magnifier leurs objets. Je crois naïvement que leur but est surtout de les étudier). Pareillement, il définit les sciences dans une optique popperienne. Mais bref, je ne vais pas vous faire une analyse de toute la conférence de Lecointre non plus, il y aurait trop de choses à dire, et bien peu de bonnes (je veux dire, même dans le détail hein; sa représentation de la représentation du scientifique au cinéma a quoi? 80 ans de retard? Bref, pardon, j’avais dit que je m’arrêtais là).

            [EDIT. Non quand même il y a quelque chose que je dois dire. Il prétend s’appuyer sur la sociologie des sciences, et cite immédiatement « notamment celle de Gérald Bronner » – allant jusqu’à conseiller imprudemment le livre La démocratie des crédules (livre dont on peut se faire une idée du sérieux en lisant ce thread: https://twitter.com/factsory/status/1345743186988306433 ). Deux choses: 1- Gérald Bronner n’est pas quelqu’un de sérieux, et ne l’a jamais été. Jusqu’à présent, les sociologues étaient les seuls, parfois, à expliquer pourquoi; depuis ses sorties récentes, et notamment son interview dans le Point, il se fait fort justement démonter par au moins 5 communautés scientifiques différentes. 2- Même si on veut prendre au sérieux les supposées qualités de Bronner, il n’est pas un sociologue des sciences, quelque soit la largesse avec laquelle on voudra distribuer ce titre. Bon, évidemment, les deux – Bronner et Lecointre – ont dû se croiser à l’Afis, qui est un peu le Club des Clowns depuis maintenant une bonne quinzaine d’années (on ne se choisit pas un Jean Bricmont comme président impunément, et les choses ne se sont pas arrangées depuis).]

    3. OryxDub Reply

      Bien d’accord. Quel temps ai-je perdu à lire tout ça. En gros ça dit : Nous aussi on veut faire des critiques avec plein d’arguments tout plein d’intelligence. Heu les gens, il y a pas d’autres combat en zététique aujourd’hui ? Ça va gérez mieux votre ego. Apolitique.

      1. Gaël Violet Reply

        Oh ben je suis bien désolé que nous vous ayons fait perdre votre temps. Maintenant, si vous pensez qu’il y a « d’autres combats à mener en zététique aujourd’hui » que de réclamer des têtes d’affiche, qui se prétendent défenseurs de la Science™, qu’ils essaient un minimum de se renseigner sur ce qu’ils prétendent « vulgariser » avant de mésinformer leur public, que vous dire? Nous aussi. Mais ce sont des combats qu’on ne pourra pas mener correctement avec eux tant que cette première condition ne sera pas remplie.

        Là-dessus, si vous voulez voir dans cet article des problèmes d’égo, c’est votre problème. Bon vent.

      2. Arnauld de La Grandière Reply

        Si, il y a plein d’autres combats en zététique, pourquoi ? On est censés tous les mener à nous seuls ? (auquel cas j’espère que dans un souci de cohérence vous faites systématiquement cette remarque à toute personne qui ne se frotte pas à l’intégralité des combats à mener en zététique, y compris ceux qui sont contradictoires entre eux…). Si vous trouvez qu’il y a d’autres combats plus importants, pourquoi semblez-vous croire que nous serions tenus de les mener à votre place ? Chacun mène ses combats comme il l’entend, selon ses propres priorités, dont acte. Menez-donc les combats qui vous semblent prioritaires, s’il ne vous fallait que ça, vous avez notre bénédiction.

      3. bdnf1 Reply

        Pouce bleu ou coeur, comme vous voulez ! Y’en a marre des sceptiques qui ne combattent plus les pseudo sciences, les gourous, qui ne vulgarisent rien, mais qui passent leur temps à critiquer négativement leurs consoeurs-frères à grands coups de leçons sur quoi dire, quoi exprimer !

  3. Corentin Reply

    Merci pour cet article,
    Je l’ai trouvé très instructif et il me parle tt particulièrement dans une période où après avoir à la fois suivi des contenus zet depuis 3ans et repris les études en SHS depuis 2 ans …. un certains malaise c’etait installé sans réussir à l’identifier !
    En ce sens, votre travail me permet de cheminer dans cette démarche,
    En vous espérant d’être entendu à plus large échelle,

  4. Zezette Reply

    Quelle manière étonnante de parler de sciences et de méthode scientifique, vous confondez un peu tout et éviter de le nommer pour éviter de passer pour des cons politisés sans aucune autre logique que le militantisme forcené.
    C’est effrayant. Vous mélangez tout afin de passer pour des gens rationnelles sans jamais considérer le fait que si la conception socio scientifique ne puisse être mise en avant ce n’est pas pour rien. La force de prédiction et la puissance des axiomes, ainsi que leur refutabilites par des observations non soumises à l’objectivité est essentielle à une production purement scientifique. Et ce que l’on appelle méthode scientifique se repose sur ces points de manière inflexible. Si vous ne comprenait pas la différence entre une étude sur le spin de l’électron et une étude sur l’impact sociologique du réchauffement climatique, on a pas beaucoup de mal à comprendre pourquoi la physique vous dépasse.
    La description du monde n’est pas nécessairement politique et sociologique (si on considère la politique gouvernementale, soit la définition utilisé par la grande majorité de la population), et le rôle de la sciences n’est pas de prendre un parti moral, la philosophie ne rentre pas dans le cadre de la méthode scientifique d’ailleurs et la sociologie non plus, pas besoin de réfléchir des mois pour le saisir en principe..
    Donc si vous voulez inclure la morale et les aspects societaux aux réflexions purement matérialistes et explicative du réel c’est votre problème de militants et vous pouvez vous dire sceptiques mais vous ne vous rattachez pas au scepticisme scientifique qui a pour vocation première, tout comme la zététique, de réfléchir suivant une méthode de confrontation du réel sans considération morale. La science est prédictive et non prescriptive. C’est comme ça et par essence la science est neutre d’opinion politique. Elle peut traiter les raisons qui amène au réchauffement climatique par exemple et ne doit surtout pas parler du pourquoi ou du faut faire quoi. C’est juste pas son rôle ni celui du scepticisme, c’est peut être pour ça que la plupart n’en parle pas.. Car il font la distinction entre chaque domaine ?
    Quel est votre but en modifiant cette définition pour y intégrer le militantisme ? Changer le monde ? Abolir les mouvements politiquement différent du votre ?

    Se taper un pareil pavé pour encore une fois constater que vos definitions n’ont rien de pertinent et que vos sources souffrent d’un manque cruel (faute de mieux) de pondération des critères d’objectivité scientifique dont ils se prétendent. C’est juste pénible. Et je comprends la lassitude de Mendax à vous répondre ou vous prendre au sérieux quand on voit la rigueur de votre travail.. C’est peine perdu de croire que vos arguments finiront par être accepté à force de répétitions et de coup de poings sur la table. Tout le monde est influençable certes, mais pas dupe.

    Bon courage dans votre quête.

    1. Gaël Violet Reply

      Bonjour.
      Je vous avoue, j’ai beaucoup hésité à accepter votre salade de mots. Je dois dire que je ne trouve pas grand chose à ajouter, je laisse le lecteur de passage démêler tout ça à sa convenance.
      Bonne continuation, toutefois.

    2. PL Reply

      ahahah mais c’est une plaisanterie ?

      comment peut-on critiquer un texte qu’on n’a visiblement pas compris (je ne peux pas croire que vous n’ayez pas eu le sentiment que vous ne le compreniez pas) ET écrire un texte aussi caricaturalement inintelligible ? J’ai peiné à trouver un raisonnement valide !

  5. Je suis pas venu ici pour voir ça Reply

    Euh attendez c’est quoi cette frise que vous avez mise pour séparer le corps du texte des notes de bas de page ? Y a pas un motif émergent qui vous choque ? Y a des tissus brodés qui ont été bannis de conventions de recréation médiévale pour moins que ça. On n’est ni en Inde là ni en 1780 là, y a du design qui se fait juste plus. Si vous voulez un truc dans le même style, y a plein de variations très jolies sans le croisement de lignes maudit : https://comps.canstockphoto.fr/maeander-image_csp10523372.jpg

    (Sinon l’article est intéressant merci et bravo pour le travail coopératif, tout ça)

    1. Gaël Violet Reply

      Bonjour.
      J’avais pris la première frise complète vaguement grecquisante qui m’était tombé sous la main pour séparer les notes de l’article, sans vraiment faire attention au motif, je crois au moment de « Fauxphismes », dans le stress de la publication, et – à peu près dans le même état de stress en pire – j’ai réutilisé la même pour cet article sans plus y prêter attention, je l’avoue. Maintenant que vous le dites, je ne vois plus que ça.
      Bref. On ne plaisante pas non plus avec ce genre de choses, je vais m’atteler à trouver un remplacement. Merci de la remarque.

      [EDIT. Changé dans les deux articles. Je vous remercie d’autant plus que dans l’article « Fauxphismes » la frise, en fin d’article, arrivait par conséquent juste après l’évocation du négationnisme de Jean Bricmont – ce qui la rendait d’autant plus malheureuse]

      1. J'étais pas venu ici pour voir ça Reply

        Bonjour,
        Je suis revenu aujourd’hui pour voir si vous aviez vu et fait quelque chose au sujet de mon commentaire.
        Je vous remercie de l’avoir pris avec grâce. Il n’a pas été écrit dans l’état le plus rationnel : j’ai oscillé entre la colère en voyant l’illustration utilisée et l’embarras devant la possibilité que ce ne soit pas intentionnel de votre part, d’où le commentaire agacé.
        Géométriquement, l’assemblage de quelques carrés décalés suffit à faire apparaître le croisement de lignes maudit, d’où sa présence dans les arts au cours du temps et autour du globe ; je crois tout de même qu’il est mieux de s’en passer quand il ne s’agit pas spécifiquement de faire un cours d’histoire de l’art sur la présence du croisement de lignes maudit dans les arts au cours du temps et autour du globe.
        Je suis soulagé que vous soyez été du même avis car je n’ai pas vraiment d’autre argument dans le débat que « je crois qu’il est mieux de s’en passer ».

        1. Gaël Violet Reply

          Nous sommes complètement d’accord; et j’ai pris votre commentaire avec honte, parce que ça aurait dû me sauter aux yeux immédiatement.

  6. Raph Heredia Reply

    Un message, qui ne concerne pas forcément cet article mais votre site en général: merci de me permettre de forger un regard critique pluriel, au delà de bases ou d’outils trop simplifiés. En tant que prof du secondaire et formateur dans l’enseignement (documentalistes, médias, Web, systèmes d’information), je remarque que beaucoup de profs et formateurs sont frillants de certains contenus (biais cognitifs, debunkages) ou certains auteurs (Gérald B.) sans nuancer ou en exprimer les limites ou points de vigilance (moi y compris j’avoue l’avoir fait). J’espère, grâce à vous, pouvoir progresser sur ma reflexion et pouvoir impulser (à mon humble niveau) des questionnements au sein de ma sphère éducative, qui prennent en compte les enjeux scientifiques et sociaux que vous developpez. Merci à vous.

  7. Gaël Violet Reply

    Petit point pour celleux qui espéraient peut-être qu’un article argumenté et sourcé permettrait de renouer un dialogue.
    Ce matin, Thomas C Durand a édité son article.
    Il y a notamment ajouté des captures d’écran, pour dit-il, donner « un peu de contexte »: lesdites captures d’écran sont des captures d’échanges sur twitter *suite à la publication de NOTRE article*. Donc à moins que Thomas C. Durand soit médium, ne peuvent contextualiser le SIEN, qui évidemment lui était antérieur.
    Il a en outre édité son texte, sans mention d’édition. C’est toujours pratique pour dire qu’on le cite mal.
    A chacun.e de tirer des conclusions.

  8. Klint Reply

    J’ai rencontré il y a peu la zététique, et comme je me revendique des idées anarchistes et libertaires j’avais du mal à trouver le bon curseur pour concilier les deux; l »hyper neutralité » des contenus zététique que je regardais juqu’à présent sur youtube ne m’avaient pas beaucoup aidé; donc merci à vous pour ce très bon article qui me donne des élements de réflexions pertinents.

  9. Prisl Reply

    Bonjour,

    Depuis quelques mois je suis avec intérêt les productions de la TeB, c’est pourquoi j’ai lu avec attention les critiques très argumentées que vous faîtes ici du positionnement de cette chaîne YouTube lorsqu’elle aborde des sujets qui relèvent selon vous du débat social et politique en ce qu’il a de spécifique.

    J’aimerais résumer dans un premier temps ce que je crois avoir compris de vos arguments exprimés dans la première partie de votre texte, en espérant ne pas trop les déformer et les desservir par un style et un vocabulaire que vous jugerez peut-être inadéquat ou maladroit car je n’ai pas étudié les sciences politiques.

    1) Si je comprends bien, vous estimez qu’il est illégitime, voire impossible si on est lucide, de traiter ce genre de sujets indépendamment de leurs enjeux sociétaux. La critique des thèses pouvant être mobilisées, même si elles sont d’origine scientifique, dans une controverse de nature « politique » doit porter, si je vous lis correctement, essentiellement sur cet aspect politique, c’est-à-dire sur l’analyse des intérêts sous-jacents à leur expression.

    2) De plus vous dénoncez toute démarche différente, comme celle la TeB qui est centrée plutôt sur l’analyse épistémique de ces thèses en termes de biais cognitifs et de démarche scientifique, comme au mieux naïve et ignorante, au pire comme malhonnête puisqu’il est impossible selon vous d’aborder ces thèmes sans défendre soi-même une position politique, qu’elle soit consciente ou non.
    Celle-ci devrait donc être explicitée car essentielle à la compréhension des analyses qui sont faites.

    Il me semble donc que le différend entre la TeB et vous porte sur la réponse que l’on donne à la question suivante :

    La valeur d’une affirmation dépend-t-elle de la façon dont elle peut être utilisée dans les rapports sociaux ou bien au contraire de ses qualités intrinsèques, logiques ou scientifiques ?

    Il me semble en tout cas qu’il s’agit de critères radicalement différents, méritant des analyses et mobilisant des outils conceptuels qui n’ont rien en commun.

    Pourquoi vouloir les opposer ? Ne sont-elles pas complémentaires plutôt ? Et à vouloir conjuguer les deux approches en même temps ne court-on pas le risque de ne rien produire de bon d’un côté comme de l’autre ?

    Votre argument 2), à savoir celui de l’existence nécessaire de motivations cachées, semble répondre au moins en partie à ces questions, mais quelle est sa valeur ?

    A première vue c’est un argument très fort, car il paraît avoir une grande valeur explicative puisqu’on peut l’utiliser pour analyser toute parole publique, y compris scientifique, qui peut faire l’objet d’une utilisation politique et sociale, et y voir une intention, qu’elle soit volontaire ou pas. Dans la mesure où cet argument recours à des motivations éventuellement non-conscientes, liées à une situation que l’on occupe de fait (par exemple être un homme ou une femme, avoir telle couleur de peau, telle profession…), il repose sur une pétition de principe car nul n’est censé pouvoir y échapper. Vous semblez considérer ce principe comme scientifique au sens des « sciences politiques », mais il me paraît parfaitement infalsifiable. Quelle que soit la situation on pourra toujours y faire appel pour analyser un propos en lui supposant des intentions cachées, et ainsi la fascinante extension de cet outil conceptuel en fait finalement la faiblesse, puisqu’il est immunisé a priori contre tout démenti de l’expérience.

    Revenons alors à votre argument princeps. Faut-il considérer que l’usage possiblement politique d’une affirmation ou d’une théorie scientifique en affecte la valeur intrinsèque ?

    Je ne le pense pas. Par exemple la théorie de l’évolution en elle-même n’a rien perdu, ni gagné d’ailleurs, à l’époque du darwinisme social qui en a fait au XIXème siècle un instrument pour justifier les inégalités, et elle méritait à l’époque comme aujourd’hui une analyse proprement épistémique.

    Mieux : une bonne vulgarisation scientifique s’attachant à montrer les biais cognitifs de l’interprétation sociologique qui en était faite aurait été, ou a été très utile pour en dénoncer l’instrumentalisation politique.

    De nos jours encore, une analyse des paralogismes dont font preuve ceux qui cherchent à se recommander de données scientifiques pour défendre une affirmation politique peut paraître très efficace. Par exemple, mettre en avant des statistiques ethniques pour expliquer certaines formes de délinquances, c’est faire l’erreur très commune de confondre corrélation et causalité, tout en omettant de considérer la corrélation peut-être plus solide entre la pauvreté et cette même forme de délinquance.

    Ainsi l’analyse qui se centre sur la logique du discours et sa valeur de vérité me paraît tout aussi convaincante, sinon beaucoup plus, qu’une dénonciation d’intentions politiques sous-jacentes. Car on peut supposer que l’intrumentalisation des sciences, biologiques ou humaines, au profit d’intérêts politiques se traduit de façon plus évidente par des biais et des sophismes que l’on peut mettre en évidence plus clairement que des motivations cachées.

    C’est pourquoi je ne trouve pas finalement votre critique de la TeB et de son animateur principal justifiée, quand bien même on choisirait, comme je viens de le faire, de regarder essentiellement les enjeux politiques de certaines affirmations. D’ailleurs ces enjeux ne me paraissent pas complètement ignorés par cette chaîne, souvent mentionnés par exemple dans les éditos des Lives.

    Pour conclure : après avoir fait l’effort d’essayer de comprendre pour l’essentiel votre argumentaire, je n’ai finalement pas été convaincu par ses affirmations principales qui reprochent à cette chaîne YouTube ce qu’elle ne fait pas, mais devrait faire selon vous, plutôt que ce qu’elle fait effectivement : un très bon travail de vulgarisation scientifique et de diffusion d’outils conceptuels susceptibles d’assainir tout débat public. Libre à chacun bien sûr de le compléter ou d’aborder les mêmes questions sous un angle différent.

    Bien à vous, Prisl

    1. Gaël Violet Reply

      Bonjour. Je ne suis actuellement pas assez en forme pour vous répondre en profondeur (peut-être qu’un.e autre contributeurice pourra prendre le relai), mais rapidement: je peux d’ores et déjà vous dire que vous n’avez pas compris nos critiques. Par exemple, il n’est nulle part question « d’intentions cachées » – ça, ça correspond bien plus à l’interprétation que fait Thomas C Durand pour esquiver nos critiques, et en termes techniques ça s’appelle un homme de paille.

      En outre, vous n’avez pas compris le concept de questions socio-scientifiques.

      Pour finir pour l’instant, nous ne nions pas l’importance de la logique du discours, au contraire: nous reprochons à de nombreux sceptiques (dont Thomas C Durand) de ne pas s’y intéresser assez. Sur ce point, la lecture de l’article « Fauxphismes: une introduction », sur ce présent blog ( https://zet-ethique.fr/2020/04/17/fauxphismes-une-introduction/ ), serait un bon complément. Bref: nous leur reprochons aussi de ne pas faire ce qu’ils prétendent faire: « un très bon travail de vulgarisation scientifique et de diffusion d’outils conceptuels susceptibles d’assainir tout débat public ».

  10. Prisl Reply

    Je suis désolé si je vous ai « hommedepaillé » car j’avais vraiment l’intention sincère de vous comprendre, et j’ai fait ce que j’ai pu. Mais comme je l’ai moi-même signalé, je n’ai pas la même formation que vous, ni les mêmes outils rhétoriques et sémantiques.

    Êtes-vous vraiment certain que mes incompréhensions portent sur des points essentiels, et que mes interprétations déforment si radicalement vos propos ? En tout cas, c’est probablement ce que vous répondrez, et je n’y peux rien.

    Je n’ai ni l’envie ni l’énergie de surenchérir en citant les affirmations que j’ai lues et que j’ai comprises telles que je l’ai exprimé d’une façon probablement un peu approximative, car je crains que ce soit sans fin.

    Et je me demande à quel public est destiné votre blog.

    A ceux qui vous comprennent vraiment ?
    Ou bien à ceux qui acquiescent globalement à vos conclusions, sans trop regarder le détail de l’argumentation ?

    Peut-être que ceux qui vous lisent peuvent se poser la question.

    Mais pour ma part je renonce à aller plus loin, car il me semble que je ne suis pas tout à fait à ma place dans cet « entre-soi », quel que soit sa nature.

    Comment disiez-vous déjà ? « De l’art subtil et délicat d’esquiver la critique… »

    Bien à vous
    Prisl

    1. Gaël Violet Reply

      Pas de souci. Ma réponse a sans doute paru plus sèche que je le voulais, je plaide l’épuisement – mais ne pas comprendre n’est pas une faute, et les hommes de paille involontaires sont très faciles à commettre accidentellement (c’est ce qui les rend si communs). Si j’étais plus en forme, je tenterais de me paraphraser pour trouver un moyen qui vous soit plus accessible (sur les parties sur lesquelles je suis compétent à répondre).

      En revanche oui, c’est radicalement différent de ce qu’on dit, effectivement.

      Pour ce qui est de la difficulté à nous lire par contre j’ai de la chance, parce qu’il y a sur twitter un endroit où on en a déjà discuté, pas plus tard qu’aujourd’hui, ce qui me permet de faire l’économie de développer une réponse que je n’ai plus l’énergie de faire… Dominique Vicassiau nous en a fait la remarque, dans un (très bon) thread rebondissant sur le billet récent de Jérémy Royaux: https://twitter.com/DominiqueVica/status/1349709048430661632 – et j’ai apporté une réponse à cette remarque, parce que oui, c’est une bonne question (je mets le dernier tweet de ma réponse en lien pour qu’elle apparaisse d’une traite, remontez: https://twitter.com/GaelViolet/status/1349739143505604608 ).
      Ceci dit, on trouve quand même notre chemin, on a eu beaucoup de retours positifs sur cet article. C’est impossible, je crois, de s’adresser à tout le monde sans rendre ce qu’on fait sans vraiment d’intérêt, même si j’aimerais que ça soit possible.

  11. SeventyThree Reply

    Article intéressant.
    J’apprécie le travail de la TeB, mais j’avoue être fatigué parfois par les doubles standards de T. Durand, ou sa propension à étaler ses maigres connaissances sur un sujet qu’il dit ne pas connaître (en début de vidéo) tout en coupant la parole en plein développement de l’invité. Je trouve, et peut-être est-ce une erreur, que T. Durand a créé un personnage publique qu’il entretien prioritairement à toute autre considération, même si cela va à l’encontre de ce qu’il prétend défendre. C’est de la posture, plus de la zététique. Je prend beaucoup de plaisir à regarder ces très long live qu’ils font avec des hurluberlus, type Grimault, mais quand à côté ils esquivent toute critique (l’objet de cet article) tout en répétant comme un sacerdoce qu’il sont faillible, autocritique, etc, ça donne l’impression d’une équipe de Ligue 1 qui enchaînerai les victoires contre des équipes CFA mais refuserai tout match contre une autre équipe de Ligue 1. Alors certes tu peux dire que t’es invaincu, mais c’est pas glorieux.

  12. Lilie Reply

    Bonjour,
    Et merci pour ce travail très intéressant.
    Justement, j’aurais une question et un besoin de complément à l’article. Vous dites notamment que sur la question du sophisme à l’appel à la nature, et sur l’appel à la généralisation, les visions de Mendax donnent l’impression qu’elle sont partagée par tous les science alors qu’elles sont « erronées ». Alors c’est vrai que pour l’appel à la nature, ça me fait carrément tiqué la manière dont le présente certains zététiciens, mais je n’ai as trop les connaissances en épistémologie des sciences et en philosophie pour mettre le doigt exactement ou ça pose problème. Idem sur la généralisation abusive là par contre je n’arrive pas à cerner le problème. Pourriez vous me donner des précisions et des compléments svp?

    1. Gaël Violet Reply

      Bonjour et merci de votre lecture. Avant de répondre (moi ou un.e des co-auteur.ices) à votre demande, je précise que si votre commentaire n’apparaissait pas, c’est tout bêtement parce qu’il faut qu’il soit accepté activement avant: les commentaires sont modérés a priori sur ce site.

  13. Julien Maneyrol Reply

    Bonjour,
    Je me permet de vous écrire par rapport à un problème que j’ai sur la plupart de vos articles, non sur le contenu mais sur la forme.
    En effet, j’ai des difficultés de lecture (problèmes de vue et légère dyslexie) et l’utilisation du point médian ajoute une difficulté supplémentaire ce qui a tendance à me rebuter, et les logiciels de « text-to-speech » n’arrivent pas à le lire, alors que je m’intéresse sincèrement à la question (critique du milieu sceptique et zététique).
    Je ne remet absolument pas en cause ce choix « idéologique » (auquel j’adhère, par ailleurs), mais est-ce qu’il n’y aurait pas d’alternatives au point médian, sans « genrer » les mots ?

    Merci
    Cordialement

    1. Gaël Violet Reply

      Bonjour!
      La question d’accessibilité que vous soulevez est une que des questions qui nous turlupinent nous-mêmes à propos de la réception de nos articles.
      On réfléchit sérieusement à proposer des version audio, lues, des articles, et j’espère de tout cœur qu’on finira par mettre cette solution en place – ça aurait entre autres le mérite de résoudre votre problème.

      Wait and see (enfin, « wait and hear » du coup).

      Merci de votre message!

  14. May Reply

    Salut à vous
    Petite question simple : vouloir à tout prix éviter de servir la soupe à l’ED, n’en viens pas parfois à falsifer le réel uniquement pour des motifs politiques ?
    J’ai un cas qui me viens en tête côté histoire et plus précisément les études indo-européenne. On a eu une génération de chercheurs negationisme des racines IE sous simp’ e prétexte politique (ça servirait la soupe aux néo nazi). Jusqu’à ce que les haplogroupe s’en mêlent, confirmant les origine IE.
    Vous le direz : bon bah ça a été rectifier.
    Oui mais au prix de 10 à 15 ans de recherche perdu et d’une discipline entaché.
    Voilà le prix de la prise en compte de l’impact politique au détriment du factuel.

    1. Gaël Violet Reply

      Bonjour.
      La question n’est pas simple mais la réponse l’est, et elle tient en un nom: Dumézil (et pour développer un petit peu: voilà par exemple ce qu’on peut lire sur la page wikipédia de Dumézil: « En 1949, il est élu au Collège de France et commence à y enseigner en décembre de la même année, à la chaire des civilisations indo-européennes créée pour lui ». On est 4 ans après la fin de la seconde guerre mondiale et on crée une chaire spécialement pour Dumézil, qu’il puisse enseigner quelque chose que vous déclarez absent pour « ne pas servir la soupe à l’ED »). La réflexion sur les indo-européens ne s’est jamais arrêtée, et je me demande bien où vous avez lu qu’elle l’avait été (ce n’est pas une question rhétorique hein, c’est que vraiment ça m’étonne).

  15. Olibo64 Reply

    Mendax peut se défendre tout seul, mais quand même, quand vous affirmez que « concevoir sa posture d’analyse et son traitement de sujets controversés comme étant suffisamment neutres pour faire l’économie d’identifier le positionnement politique que l’on mobilise inconsciemment dans l’étude d’un phénomène nous apparaît problématique », et j’imagine sans trop risquer de me tromper que certains sujets qu’il peut être amené à traiter ont un état des connaissances qui va contre votre conviction politique… n’est-ce pas lui renvoyer votre propre biais d’interprétation ? Vous portez déjà un jugement a priori sur l’interprétation que l’on peut faire de certains faits, avant d’admettre ces faits.

    En effet, quand vous décidez qu’un sujet est « controversé », n’est-ce pas parce que ce sujet vous tient tout simplement à cœur ? Par exemple les thèmes cités dans votre introduction, dont certains sont présentés par des partis politiques comme des marqueurs sociétaux forts (en positif ou en négatif selon les électorats visés).

    Ce n’est pas un jugement de valeur envers vous (chacun ses convictions), mais, du coup ne pouvez pas concevoir que d’autres personnes ne soient pas autant que vous orientés sur ces sujets ?

    Et, plus généralement, n’est ce pas de cette orientation choisie, assumée (ok avec ça), mais aussi – et là c’est problématique – projetée sur les autres que viennent vos récriminations moralisatrices et, en retour, les sarcasmes, voire les insultes de certains de vos contradicteurs ?

    1. Gaël Violet Reply

      Bonjour.
      Toutes vos questions trouvent leur réponse dans l’article que vous commentez. Bonne lecture.
      (pendant que je vous tiens toutefois: pourriez-vous avoir l’honnêteté de ne pas prétendre ne pas porter de jugements de valeurs quand il est aussi manifeste que vous le faites? Nous sommes prêts à répondre aux critiques en général, mais pas quand elles s’enrobent d’hypocrisie. Oui, c’est bien un jugement de valeur. Disons autant que quand vous parlez de nos « récriminations moralisatrices ».)

  16. Mione Reply

    Bonjour,
    Ok mais alors comment on doit se « classer politiquement », quand on ne fait pas de politique ?
    C’est en fonction de quoi ? Du parti choisi au dernier vote, d’une moyenne de la dernière année, des 10 dernières ? Quelles élections comptent… municipales, européennes… ? On parle de la position suivant l’offre en France ou à l’international… ?
    Simone Veil par exemple ? Mettons, la Simone Veil de 2010 (s’il est utile de préciser), vous la classez où politiquement, cette femme d’État qui a tjs dit « je ne fais pas de politique » ?
    Et encore des questions (plutôt rhétoriques j’avoue, sauf pour Simone, ça je serais vraiment curieuse de votre réponse)… d’où Mendax – ou tte personne compétente et reconnue dans son domaine, et dans les limites bien sûr du cadre légal en vigueur – aurait tort de faire ce qu’il fait comme il le fait, d’autant qu’il assume les inévitables critiques et ses éventuelles erreurs… ?
    Bien sûr qu’il n’est pas apolitique, Mendax, être apolitique c’est comme être inculte : littéralement c’est presque impossible ! Ne pas être politisé c’est autre chose et ne pas faire de politique encore une autre.
    Là concrètement vous exigez qu’il politise son activité. De quel droit ? Vous êtes le syndicat des vulgarisateurs scientifiques ?
    Là où je suis d’accord avec vous c’est que c’est important de se présenter au public de manière explicite et facile à comprendre. Mendax est vulgarisateur scientifique et la TeB une chaîne dont l’objectif affiché est la promotion de l’esprit critique. Votre collectif par contre, j’ai pas trop compris…

    Mione

    Ps : Et d’où des vidéos d’astronomie auraient 0 portée politique ? C’est peut-être juste que vous ne voyez pas assez loin !

    1. Gaël Violet Reply

      Merci de cette série de questions rhétoriques.
      La réponse à « de quel droit critiquez-vous » est toujours la même: mu.
      Bonne continuation.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.